Le papyrus P.Oxy 5575 vient-il « bouleverser la Bible » ?
À la une du numéro de janvier 2024 du magazine Sciences et Avenir on trouve le titre suivant : « Découverte d’un fragment du IIe siècle : L’Évangile oublié qui bouleverse la Bible ». À l’intérieur de ce numéro, huit pages sont consacrées à la publication récente du papyrus P.Oxy 5575 (p. 78-85). Marine Benoît, membre de la rédaction du magazine, responsable de cet article et experte en archéologie a également été interviewée dans un podcast à ce sujet.
Ce papyrus vient-il effectivement « bouleverser la Bible » comme le titre Sciences et Avenir ?
Un papyrus d’Oxyrhynque
Le papyrus dont il est question n’est pas une découverte récente puisqu’il fait partie des dizaines de milliers de papyrus découverts à partir de 1897 sur le site d’Oxyrhynque. C’est en fouillant l’antique déchetterie du site que des archéologues britanniques y ont découverts un gigantesque amoncellement de papyrus anciens. Les plus vieux de ces manuscrits pourraient remonter au 2e siècle avant Jésus-Christ, mais la plupart datent des 3e au 7e siècles après Jésus-Christ. La conservation exceptionnelle de ces fragments de papyrus s’explique par le fait que le site est situé en Haute-Égypte, une région où il ne pleut quasiment jamais.
On trouve de tout dans cette « poubelle » à papyrus : des documents privés, des registres, des lettres, des reçus fiscaux, mais aussi des copies de textes littéraires. Puisque la déchetterie date d’une époque où l’Égypte fut christianisée, il n’est guère étonnant d’y retrouver aussi des copies de textes chrétiens. C’est notamment là que l’on a retrouvé plusieurs des plus anciennes copies du texte du Nouveau Testament, datées des 2e et 3e siècles. Il faut préciser qu’il s’agit de manuscrits très fragmentaires. D’une part, ces papyrus ont été jetés à la poubelle, ce qui suppose qu’ils n’étaient probablement plus en très bon état. D’autre part, en 1500 ans ou plus, ces manuscrits ont eu le temps de se décomposer. Ainsi, chacun des papyrus retrouvés ne contient généralement que quelques lignes du texte biblique.
Parmi les textes chrétiens retrouvés, on compte également des fragments de copies d’évangiles dits « apocryphes ». Ainsi, le papyrus n°1 de la collection (P.Oxy 1), publié en 1898, est un fragment d’une copie de l’Évangile de Thomas, un recueil de paroles attribuées à Jésus qui a probablement été rédigé au 2e siècle.
Depuis la fin du 19e siècle, les manuscrits retrouvés sont stockés à l’université d’Oxford, au Royaume-Uni. Étant donné l’énorme quantité de manuscrits découverts et leur état très fragmentaire, il faut beaucoup de temps pour que les spécialistes puissent déchiffrer, étudier, comparer, dater puis publier « officiellement » ces manuscrits. Plus d’un siècle après leur découverte, beaucoup de papyrus attendent encore d’être sortis des cartons d’Oxford. Le premier volume de l’édition officielle (The Oxyrhynchus Papyri) est sorti en 1898. Le volume 87, dernier en date, a été publié en août 2023.
Le papyrus d’Oxyrhynque n° 5575
C’est au sein de ce volume 87 qu’a été publié le 5575e papyrus d’Oxyrhynque (P.Oxy 5575 ou 87.5575). Il s’agit d’un petit fragment pas plus grand qu’un post-it (3,5 cm de large sur 10 cm de haut) qui, il y a bien longtemps, devait probablement faire partie d’un codex, l’ancêtre du livre.
Sur ce fragment, on peut y lire des mots écrits en grec. Ces mots correspondent à des paroles que le texte attribue à Jésus. Ces paroles sont très proches de ce que l’on peut lire en Matthieu 6.25-33 ou son parallèle en Luc 12.22-30, dans l’ordre du texte de ces évangiles. Néanmoins, il y a de nombreuses variantes de détail par rapport au texte des évangiles. De plus, on trouve, au milieu de ce passage, une parole qui n’est pas dans les évangiles canoniques mais que l’on connaît par l’Évangile (apocryphe) de Thomas.
Le texte de P.Oxy 5575
Sur sa page Academia, Pierluigi Piovanelli propose une traduction française du manuscrit que je reproduis ci-dessous.
Recto
[… il mo]urut (Thomas 63.3 ?). [Je] vo[us (le) dis : Ne vous in]quiét[ez pas, pour votre v]ie, de ce que vous manger[ez, ni, pour le] corps, de ce dont [vous serez vêtus](Matthieu 6.25a // Luc 12.22 // Thomas 36.1). [Je] vous (le) dis, en effet : [Si vous ne j]eûnez pas d[u monde,] vous ne trouver[ez pas le Royau]me, et si vous n[e sabbatis]ez pas le mon[de, vous ne trouve]rez pas le Pè[re] (Thomas 27.1-2). [Regardez les] oiseaux, comme[nt …], et [votre] Pè[re] céleste [les nourrit …]. Vous donc, […] vous v[alez] beaucoup [plus que les oisea]ux (Matthieu 6.26 // Luc 12.24).Vous […].
[… Considérez]Verso
[les lys], comment ils p[oussent …], un […] un. Pas mê[me Sa]lomon, dans [sa] gloire n’a ét[é vêtu …] (Matthieu 6.28-29 // Luc 12.27). [Mais si] le Père ha[bille … l’]herbe qui se d[essèch]e et qui est [je]tée au fou[r…], vous […], vous donc […], ainsi […] (Matthieu 6.30 // Luc12.28).Car votre Père [sait] que vous (en) ave[z be]soin (Matthieu 6.32 // Luc12.30).
[Ch]erchez [plutôt] s[on règn]e, e[t tout cela vous sera] don[né par surcroît …] (Matthieu 6.33 // Luc 12.31).Note : Les parties entre crochets sont reconstituées de façon hypothétique. Les références entre parenthèses sont ajoutées à titre de comparaison.
Pour ceux qui lisent le grec ancien, Peter Gurry met à disposition une synopse du texte grec (voir ici).
Un évangile gnostique ?
Il est bien difficile de savoir à quel type de livre appartenait ce petit fragment. C’est comme si l’on possédait une seule pièce d’un puzzle et que l’on devait deviner, à partir de cette petite pièce, ce que représente l’ensemble du puzzle. On peut néanmoins se faire une idée de ce qui figurait sur les deux pages auxquelles appartient le fragment.
Comme indiqué plus haut, il s’agit de citations de paroles attribuées à Jésus. La majeure partie de ces paroles se trouve déjà, avec quelques variantes, dans les évangiles de Matthieu et de Luc. Par ces paroles, Jésus encourage ses auditeurs à ne pas s’inquiéter outre mesure des questions matérielles, telles que la nourriture et le vêtement. Il convient de chercher « premièrement le règne de Dieu » et de faire confiance à Dieu pour le reste. Le message porte sur les priorités du croyant. Mais il s’agit aussi d’une exhortation à faire confiance en un Dieu qui, tel un Père aimant, pourvoit aux besoins matériels de ses enfants. Selon l’avis de la majorité spécialistes, Matthieu et Luc ont, pour ce passage, utilisé une source écrite compilant des paroles de Jésus (la « source Q ») et que l’on date généralement des années 50, soit à peine vingt ans après que Jésus ait quitté la terre. Il s’agit donc d’une tradition très ancienne.
Néanmoins, la particularité de P.Oxy 5575 est d’intégrer, au milieu de ce discours, une autre parole que le texte attribue à Jésus :
Cette phrase, qui est très proche de la parole 27 de l’Évangile de Thomas, n’a pas de parallèle dans les évangiles canoniques. On peut remarquer que l’auteur utilise le verbe « jeûner » dans un sens métaphorique : il faut « jeûner du monde », c’est-à-dire s’abstenir du monde. Or, on ne trouve aucune référence à une sorte de « jeûne » spirituel ou métaphorique dans le Nouveau Testament (ni, me semble-t-il, chez les Pères apostoliques). Toutes les références au « jeûne » sont faites par rapport à un jeûne de nourriture physique.
De plus, cette parole qui encourage une sorte de « sortie du monde » a pour effet de relire les paroles canoniques de Jésus dans un autre sens. En Matthieu et Luc, Jésus invite à faire confiance en Dieu pour les questions matérielles et à mettre la priorité sur le « Règne de Dieu ». En P.Oxy 5575, ces questions matérielles sont présentées comme étant liées au « monde », c’est-à-dire à une réalité atteinte par le péché.
Ces différentes remarques me font penser que l’on est là face une relecture gnostique (ou « gnosticisante ») des paroles de Jésus. Le gnosticisme est un courant qui s’est développé au sein du christianisme à partir du 2e siècle, notamment en Égypte où il fut très populaire. Une des caractéristiques du gnosticisme est d’opposer le monde spirituel et le monde matériel, perçu comme mauvais. Les gnostiques vont ainsi dévaloriser tout ce qui est « corporel » et chercher à « spiritualiser » la pratique chrétienne. Cette doctrine, contraire à l’enseignement biblique, sera dénoncée comme « hérétique » par des Pères de l’Église comme Irénée de Lyon.
Un autre texte bien connu compile des paroles attribuées à Jésus d’une manière similaire : il s’agit de l’Évangile de Thomas. Cet évangile apocryphe contient à la fois des paroles attestées par les évangiles canoniques (en particulier Matthieu et Luc) et des paroles clairement influencées par une forme de gnosticisme. Cet « évangile », selon l’avis des spécialistes actuels aurait été compilé, sous sa forme finale, dans la deuxième moitié du deuxième siècle. Il est donc tentant de voir en P.Oxy 5575 un texte similaire, d’une époque similaire.
De quand date ce manuscrit ?
Dater un texte est une chose, dater un manuscrit qui est, probablement, une copie de ce texte (et non le manuscrit rédigé par le compilateur lui-même), en est une autre. À quelle époque un scribe a-t-il pris sa plume (ou son calame) pour déposer l’encre présente sur le papyrus P.Oxy 5575 ?
L’article de Sciences et Avenir, se basant sur des propos de Michael Langlois, indique que l’ « analyse paléographique […] a permis de situer sa rédaction au IIe siècle, voire à la fin du Ier siècle » (p. 80). L’article insiste sur son ancienneté en indiquant qu’il pourrait s’agir du plus ancien manuscrit des évangiles (avec peut-être le P52). Néanmoins, il n’est pas expliqué d’où vient cette datation possible « à la fin du Ier siècle ».
Or, une datation aussi ancienne ne correspond pas à ce qui semble être l’avis majoritaire des papyrologues. Dans l’édition officielle de ce manuscrit, les spécialistes qui ont étudié le papyrus proposent de dater ce papyrus au 2e siècle. Dans un post de blog, Daniel B. Wallace – qui fait partie des éditeurs du manuscrit – précise que ceux qui ont travaillé sur ce manuscrit ont « tous, de façon indépendante, daté le manuscrit à la fin du second voire au début du troisième siècle ».
La datation plus ancienne proposée par Michael Langlois s’explique peut-être par le fait que le P.Oxy 5575 semble avoir été copié par le même scribe que P.Oxy 4009, publié en 1994 dans le volume 60 des Oxyrhynchus Papyri. Ce point est démontré par le spécialiste Brent Nogbri sur son blog. Or, d’après les éditeurs de P.Oxy 4009, ce papyrus semble dater plutôt du début du 2e siècle.
Sauf que, comme l’explique Brent Nogbri dans un autre article de blog, la datation précise de ces deux fragments de papyrus est très difficile. Il indique, par exemple, que le papyrologue Pasquale Orsini date le P.Oxy 4009 non pas au début du 2e siècle… mais au 4e siècle !
L’interprétation que j’ai proposée plus haut concernant l’origine du texte rend peu probable une datation de P.Oxy 5575 avant le milieu du 2e siècle. En effet, s’il s’agit d’une compilation gnostique de paroles attribuées à Jésus, cette compilation ne peut pas avoir été composée avant la première moitié du 2e siècle. Il est peu probable que le fragment retrouvé dans la déchetterie d’Oxyrhynque soit le manuscrit « original » rédigé par le compilateur lui-même. Il est plus probable qu’il s’agisse d’une copie ultérieure sans grande valeur et, donc, qu’elle date, au plus tôt, d’un peu plus tard dans le 2e siècle.
Ce manuscrit vient-il « bouleverser la Bible » ?
P.Oxy 5575 est un manuscrit important à plusieurs titres :
- Il s’agit de la découverte d’un nouvel évangile « apocryphe », particulièrement ancien, qui compile des paroles attribuées à Jésus.
- Il pourrait être utile pour la critique textuelle du Nouveau Testament, la discipline qui cherche à établir le texte original du Nouveau Testament à partir des copies anciennes. En effet, P.Oxy 5575 est un manuscrit très ancien qui peut aider à reconstruire les textes de Matthieu 6.25-33 et de Luc 12.22-30.
- Il peut aussi être utile pour la critique textuelle de l’Évangile de Thomas.
Néanmoins, il ne faudrait pas surestimer l’intérêt de ce petit fragment. Selon l’interprétation que j’en ai proposée, il s’agirait simplement d’un nouvel exemple de compilation gnosticisante de paroles attribuées à Jésus. Ce phénomène est déjà bien connu par les historiens puisque l’Évangile de Thomas en constitue un célèbre exemple. Or, comme l’ont démontré des spécialistes comme John P. Meier, l’Évangile de Thomas n’a quasiment aucun intérêt pour la connaissance du Jésus historique. En effet, les passages de l’Évangile de Thomas qui pourraient éventuellement refléter de « vraies » paroles de Jésus, sont celles qui sont déjà attestées par les évangiles bibliques. Les paroles les plus originales de cet évangile apocryphe sont des inventions qui ne peuvent pas avoir été prononcées par Jésus. C’est le cas, notamment, de la parole 27 de l’Évangile de Thomas que l’on retrouve en P.Oxy 5575 et qui peut difficilement avoir été prononcée par Jésus.
En résumé, P.Oxy 5575 ne vient ni bouleverser notre connaissance des (vraies) paroles de Jésus, ni de la rédaction des évangiles canoniques, ni même de l’histoire du christianisme des premiers siècles. Il vient simplement apporter un éclairage supplémentaire sur la manière dont certains chrétiens gnostiques interprétaient les paroles de Jésus.
Et même si…
Et même si mon interprétation sur l’origine du texte s’avérait erronée ; même si, contre l’avis majoritaire des papyrologues, le manuscrit remontait à la fin du premier siècle ; il ne viendrait pas non plus « bouleverser la Bible ». En effet, tous ceux qui ont un peu étudié les évangiles savent que divers écrits sur la vie et les paroles de Jésus existaient au premier siècle, avant même la rédaction des évangiles bibliques. C’est le cas, par exemple, de la présumée « source Q » que Matthieu et Luc auraient utilisée pour rédiger leur évangile. De façon explicite, Luc introduit son évangile en expliquant que de « nombreuses personnes » ont déjà composé des récits de la vie de Jésus avant lui (Lc 1.1). La suite de son introduction suggère qu’il a lui-même consulté et utilisé diverses sources pour rédiger son évangile (Lc 1.2-4).
Ainsi, si la tradition chrétienne considère les évangiles canoniques comme faisant autorité, ce n’est pas parce qu’ils seraient les seuls récits sur Jésus, ni même les plus anciens. C’est parce qu’ils ont été considérés comme particulièrement fiables historiquement. Mais aussi et surtout parce que la tradition chrétienne a la conviction que leurs auteurs ont été inspirés par Dieu dans leur travail de rédaction. Parce que ceux-ci – et eux seuls – font véritablement connaître « Jésus, le Messie, le Fils de Dieu » (Jn 20.30-31).
Sources et lectures complémentaires
- Michael J. Kruger, spécialiste de la question du canon du Nouveau Testament, a écrit un bel article sur l’intérêt de ce papyrus (en anglais) : https://www.thegospelcoalition.org/article/new-gospel-manuscript-oxyrhynchus/
- On peut consulter les images haute-définition de P.Oxy 5575 sur le site d’Oxford : https://portal.sds.ox.ac.uk/articles/online_resource/P_Oxy_LXXXVII_5575_Sayings_of_Jesus/23610168
- Pour une présentation du texte en français, de façon plus technique et historique, voir le Powerpoint sur la page Academia du Pr Pierluigi Piovanelli : https://www.academia.edu/110994101/Piovanelli_P_Oxy_5575_2023
- Pour des discussions techniques sur la datation du manuscrit par le papyrologue Brent Nongbri : https://brentnongbri.com/2023/09/09/the-date-of-the-new-oxyrhynchus-sayings-of-jesus-p-oxy-87-5575/ et https://brentnongbri.com/2023/09/30/p-oxy-87-5575-and-p-oxy-60-4009-the-same-copyist/
- Pour une synopse grecque du manuscrit : https://evangelicaltextualcriticism.blogspot.com/2023/09/synopsis-of-poxy-5575-matt-luke-and.html
Penser le canon du Nouveau Testament (Podcast)
J’ai été invité par Jacques Nussbaumer et Matt Moury à partager leur « Café Théo ». Cette émission diffusée sous forme de « podcast » est liée au (très bon) site de réflexion théologique évangélique « Point-Théo« .
Les « podcasteurs » m’ont invité à proposer quelques pistes de réflexion sur la question du « canon du Nouveau Testament ». Quel est l’intérêt de la littérature intertestamentaire ? D’où viennent les 27 livres de la deuxième partie de la Bible ? Quel rôle ont joué les apôtres dans le processus de rédaction ? Peut-on se fier aux évangiles ? Comment le canon du Nouveau Testament a-t-il été discerné au fil des siècles ?
En bonus, vous apprendrez comment j’aime boire mon café… et que Matt Moury peut vous offrir du Whisky si vous n’aimez pas le café !
Un podcast à écouter sur votre plateforme préférée…
Le podcast peut être écouté directement ci-dessous (lien audio ou Youtube). Si vous écoutez les Podcasts par d’autres plateformes, cliquez ici pour le lien Apple Podcast et ici pour d’autres formats (Spotifiy, Google Podcast, etc.)
#13 – Un Café avec Henri Blocher – A la rencontre de Karl Barth (partie 1) – Le Café Théo
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- Mini épisode bonus : Le postmillénarisme de Warfield
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Y a-t-il de la « puissance » dans le « nom » de Jésus ?
Certains messages et certains chants contemporains soulignent la puissance du « nom » de Jésus. On indique que ce « nom » est puissant car c’est « par lui » que les « chaînes sont brisées », que « les démons sont chassés » ou que les « malades sont guéris ». Certes, la Bible affirme clairement que les envoyés du Christ peuvent faire tout cela « en son nom ». Mais, peut-on en déduire qu’il y a de la « puissance » dans le « nom » du Seigneur ?
L’importance et l’usage du « nom » dans la Bible
Ceux qui soulignent la puissance du nom de Jésus partent généralement d’une observation exacte : dans le contexte biblique, le « nom » de quelqu’un a bien plus d’importance que dans le contexte occidental actuel. Dans le monde de la Bible, le « nom » n’est pas juste une étiquette bien pratique qui permet d’identifier une personne. Il est lié à l’identité profonde de la personne. Ce qui explique, par exemple, que le Seigneur tienne à changer le nom Jacob en « Israël » (Gn 32.28) ou de Simon en « Pierre » (Mc 3.16) ; ces noms ayant quelque chose à dire de la vocation d’Israël ou de Pierre (cf. Mt 16.18). De la même manière, l’Ancien Testament souligne le lien entre l’identité et le nom de Dieu/YHWH – « celui qui est » (Ex 3.14) ; de même que le Nouveau Testament concernant Jésus – « le Seigneur sauve » (Mt 1.21). Ainsi, dans le contexte biblique, il y a souvent un lien très fort entre le « nom » et la « personne ».
Par extension, il arrive souvent que le mot « nom » (shem en hébreu) soit une manière de se référer non pas au nom d’une personne, mais à la personne elle-même. C’est le cas, en particulier, des textes hébreux qui se réfèrent au « nom du SEIGNEUR (YHWH) ». Par exemple, « louer le nom du SEIGNEUR » ou « bénir le nom du SEIGNEUR » (Ps 113.1-3) signifie « louer le SEIGNEUR » ou « bénir le SEIGNEUR ». « Invoquer le nom du SEIGNEUR (YHWH) », signifie prier le Dieu qui s’appelle YHWH (Gn 4.26 ; 16.13).
La « puissance du nom du Seigneur »
Par conséquent, du fait de cet usage, ne serait-il pas juste de souligner « la puissance » du « nom » du Seigneur ? Il me semble qu’une telle déduction n’est pas judicieuse : non seulement une telle formulation peut prêter à confusion en français, mais elle ne correspond pas à l’enseignement biblique.
Le français n’est pas de l’hébreu
Tout d’abord, ce qui pourrait avoir un certain sens en grec et en hébreu, n’a pas le même sens en français (ou en anglais). Dans notre langue, dire que « le nom de Jésus est puissant » ne signifie pas « Jésus est puissant ». Personne – en dehors de certains milieux chrétiens – ne fait un tel usage du « nom ». Lorsque je veux honorer une personne je ne dis pas que j’aimerais « honorer son nom ». Aucun français ne souhaite le bonheur de quelqu’un en lui disant : « béni soit ton nom ». Par conséquent, il n’est pas forcément judicieux d’utiliser la transposition d’une formulation hébraïque (ou grecque) dans un chant destiné à être chanté par tous les croyants (y compris ceux qui n’ont pas forcément connaissance de ces subtilités de langage).
Il existe néanmoins quelques expressions utilisées en français qui se rapprochent de l’usage biblique (et qui pourraient donc être utilisées par les auteurs francophones). C’est le cas, notamment, de la formule « au nom de » : lorsqu’un représentant du gouvernement s’adresse « au nom » du président, il s’adresse « de sa part », en tant que son représentant. Les termes « renommée » ou « nomination » ont aussi un sens qui se rapproche de la terminologie biblique.
Aucun passage biblique ne souligne la « puissance » du « nom » de Jésus
Au-delà du langage, il convient de souligner que la Bible ne fait pas de lien direct entre la « puissance » et l’utilisation du « nom » de Dieu ou de Jésus. À ma connaissance, il n’existe aucun verset biblique qui affirme qu’il y a « une puissance dans le nom de Jésus ».
Le seul passage qui pourrait éventuellement être invoqué se trouve en Actes 3-4, en rapport à la guérison du paralytique par Pierre et Jean. Ceux-ci indiquent que ce n’est pas par « leur propre puissance » qu’ils ont guéri le paralytique (Ac 3.12) mais « par la foi du nom » de Jésus (Ac 3.16). De même, lorsque les membres du Sanhédrin leur demandent « par quelle puissance ou par quel nom » ils ont guéri le malade (Ac 4.7), Pierre répond « c’est par le nom de Jésus-Christ » (Ac 4.10). Pierre serait-il en train de souligner la « puissance » du « nom » de Jésus ? Si l’on lit ces textes dans leur contexte, on constatera que Pierre n’attire pas l’attention sur le « nom » de Jésus mais sur Jésus lui-même : la mention du « nom » de Jésus est accompagnée, dans les deux cas, d’une présentation précise de qui est Jésus (Ac 3.13-15 ; 4.10-11) puis d’un résumé du message du salut (Ac 3.17-26 ; 4.12). Ainsi, dans ce contexte, il est évident que la référence à la puissance du nom de Jésus est une manière de désigner la puissance de la personne de Jésus.
De façon générale, on peut que constater que, dans la Bible, la « puissance » est une caractéristique personnelle : c’est Dieu qui est le « Tout-puissant », c’est le Saint-Esprit qui est une « puissance », c’est Jésus qui vient « avec puissance ». Il est d’ailleurs étonnant que, alors que divers versets indiquent que le nom de Dieu (ou de Jésus) est « grand », « magnifique » ou « glorieux », on se garde généralement de dire que son nom est « puissant ».
Le risque d’une utilisation magique du « nom » de Jésus
Cette dernière observation s’explique peut-être par le fait que les auteurs bibliques sont conscients du risque d’une utilisation magique du « nom » de Dieu ou de Jésus. Dans le monde de la Bible – comme dans de nombreuses cultures – il est courant d’inclure le nom de divinités (ou d’esprits) dans les formules magiques. En effet, ceux qui pratiquent la magie considèrent qu’il y a une « puissance » dans le fait de prononcer le « nom » de ces divinités. Et que la simple formulation de ces noms a une efficacité en soi.
Le livre des Actes souligne à plusieurs reprises la différence entre les « signes et prodiges » chrétiens et les pratiques magiques (voir Ac 8.9-25 ; 13.4-12 ; 14.8-20). En Actes 19.13-17, face aux nombreuses guérisons et délivrances réalisées par l’intermédiaire de Paul, des exorcistes Juifs décident d’avoir recours à la même « formule magique ». Ceux-ci « entreprennent de nommer le nom du Seigneur Jésus sur ceux qui ont des esprits mauvais » (Ac 19.13). La suite du récit montre que leur entreprise n’a guère de succès. Certains se font même violemment malmenés par une personne ayant un mauvais esprit après que celui-ci leur ait dit : « je connais Jésus et je sais qui est Paul, mais vous qui êtes-vous donc ? » (Ac 19.15).
Le risque d’utiliser le « nom » de Jésus comme une formule magique n’est pas réservé à l’époque des apôtres. Le recours à la sorcellerie et à des « formules » occultes est encore courant dans de nombreux pays du monde. Dans ce contexte, mettre en avant la « puissance » du « nom » de Jésus risque de générer une certaine confusion.
La « puissance » ne réside pas dans le « nom » de Jésus mais dans le fait que l’on agisse « en son nom »
Si le croyant peut faire quelque chose « au nom de Jésus », ce n’est pas parce qu’il y aurait une quelconque puissance dans le « nom » de Jésus. Mais c’est parce qu’il a été envoyé par Jésus pour agir en son nom. Bien plus, du fait qu’il est au bénéfice de l’œuvre de Jésus-Christ, le croyant est « en Christ » et l’Esprit du Dieu tout-puissant a fait sa demeure en lui. Il a donc la légitimité de demander et prier « au nom de Jésus », c’est-à-dire en tant que son représentant. La « puissance » réside non pas dans le « nom » de Jésus, mais en Jésus lui-même. Ainsi, en Actes 9, Pierre n’a pas besoin de prononcer la formule « au nom de Jésus » pour que Tabitha ressuscite (Ac 9.40), tout comme il peut dire au paralysé : « Énée, Jésus te guérit » (Ac 9.34).
Cela ne signifie pas pour autant que, parce qu’il est « en Christ », le croyant pourrait demander n’importe quoi « au nom de Jésus ». Un émissaire ne peut faire « au nom » de celui qui l’envoie que ce qui est conforme à la volonté de ce dernier. Comme le dit Jésus en rapport à ceux qui prétendent faire des miracles ou prophétiser « en son nom » : « Ce n’est pas tous ceux qui disent « Seigneur, Seigneur » qui entreront dans le royaume des cieux, mais ce sont ceux qui font la volonté de mon père qui est dans les cieux » (Mt 7.21-23). Autrement dit, celui qui prétend faire « au nom » de quelqu’un ce qui n’est pas conforme à sa volonté est un imposteur.
Sur la question des miracles, voir cette série d’articles Signes, prodiges et miracles dans le Nouveau Testament.
La « maison de Dieu » et nos lieux de culte
Il y a quelques jours est sorti l’ouvrage collectif Parlons mieux ! 13 théologiens décryptent 13 expressions évangéliques à la lumière de la Bible (BLF / WET, 2021). Cet ouvrage, destiné à un large public (évangélique), a pour objectif de proposer quelques réflexions théologiques à partir de certaines expressions couramment utilisées dans nos églises : « Tu dois accepter Jésus dans ton cœur » ; « Descends sur nous, Saint-Esprit » ; « Nous allons faire passer la collecte » ; « Bénis ces aliments, Seigneur » ; etc.
J’ai été sollicité pour apporter une contribution sur l’expression « Bienvenue dans la maison de Dieu ». J’y propose notamment un (rapide) survol du concept de « maison de Dieu » dans la Bible. Ce parcours a pour but de mettre en évidence que, depuis la venue de Jésus-Christ, la « maison de Dieu » est constituée des « pierres vivantes » (les croyants) et a Jésus-Christ pour « fondation ». Autrement dit, la « maison de Dieu » correspond à l’Eglise universelle.
Si ce point est généralement bien connu et admis parmi les chrétiens, quelle place faut-il donner aux « maisons » ou bâtiments où l’Eglise se rassemble ? Je reproduis ci-dessous mes réflexions conclusives à ce sujet (p. 66-68 dans le livre). En espérant que ce petit extrait puisse vous donner envie de lire l’ouvrage…
Valoriser les « pierres vivantes »
Selon la Bible, la « maison de Dieu » ultime est l’assemblée des « pierres vivantes » qui a Jésus-Christ pour « pierre de fondation ». En sacralisant les lieux de culte, on risque de « faire de l’ombre » à cette dimension essentielle de la foi chrétienne. L’important n’est pas le bâtiment où se réunissent les chrétiens, mais la manière dont les chrétiens constituent ensemble un « temple spirituel » à la gloire de Dieu. Par conséquent, il semble plus prudent d’éviter les formules du type « bienvenue dans la maison de Dieu ». De même, lorsque l’on chante les paroles des psaumes qui évoquent le bonheur de « venir à la maison de Dieu », il peut être bon de rappeler l’éclairage apporté par l’œuvre de Jésus-Christ. Oui, c’est une grâce immense d’entrer dans la présence du Dieu trois fois saint. Ce privilège nous a été acquis par le sang de Jésus qui nous permet d’accéder librement au lieu « très saint » (voir Héb. 10 : 19-20). De telle sorte que nous, simples mortels, formons une « maison spirituelle » (1 Pi. 2 : 5), c’est-à-dire le temple où réside l’Esprit de Dieu (1 Cor. 3 : 16).
Ainsi, veillons à ne pas donner une place trop importante au bâtiment où se réunit l’Église au détriment des « pierres vivantes » qui sont au cœur du projet de Dieu. Même une communauté bien au clair sur ces questions peut vite se laisser obnubiler par un projet de construction, des problèmes liés à l’entretien du bâtiment et des questions d’argent qui lui sont liées. Ne laissons pas l’édifice de briques et de bois faire de l’ombre à la maison spirituelle grandiose que Dieu souhaite se construire !
Des lieux de culte qui reflètent la « maison de Dieu »
Ceci dit, l’Église-corps du Christ a besoin de lieux pour se réunir. Lorsqu’elle doit chercher un local, faire construire un bâtiment ou gérer un édifice existant, bien des questions concrètes se posent. Il n’existe pas de réponse biblique toute faite à ce sujet. J’aimerais néanmoins suggérer quelques pistes de réflexion.
Des lieux de culte qui mettent en valeur les « pierres vivantes » qui composent la « maison de Dieu »
J’ai toujours été émerveillé de voir une assemblée de femmes et d’hommes de tous âges et d’arrière-plans différents s’unir pour louer ensemble son Seigneur, prier et écouter sa Parole. Ainsi, j’aime me placer au fond de la salle de culte pour contempler cet « édifice vivant ». Un lieu de culte de forme circulaire ou semi-circulaire permet plus facilement aux uns et aux autres de se voir et s’entendre. Inversement, une salle toute en longueur attire l’attention sur ce qui est devant plutôt que sur la communauté, et l’estrade a tendance à devenir une sorte de « lieu saint ».
Des lieux de culte qui attirent l’attention sur la « pierre de fondation »
Le tabernacle et le temple étaient construits et organisés pour attirer l’attention du croyant sur la sainteté de Dieu alors qu’il lui apportait un sacrifice. Ce qui est central dans le culte chrétien, c’est l’œuvre et la personne de Jésus-Christ par qui nous pouvons constituer une « maison spirituelle » à la gloire du Dieu trois fois saint. Par conséquent, on pourrait réfléchir à la manière dont les lieux, l’architecture, la décoration ou les équipements peuvent inviter à tourner les yeux vers Jésus. Par exemple, la présence d’une croix, principal symbole associé à Christ, me parait tout à fait légitime.
Des lieux de culte ouverts vers l’extérieur
Selon 1 Pierre 2, l’Église-construction constitue un peuple de « prêtres » qui « [sortent] proclamer les louanges de celui qui vous a appelés des ténèbres à sa merveilleuse lumière » (1 Pi. 2 : 9). Voilà la mission de l’Église. Nous ne sommes pas appelés à former une petite chapelle cachée dans une lointaine forêt profonde. Nous sommes invités à former un édifice public, qui proclame ce que son Sauveur a accompli ! Ainsi, en 1 Cor. 14 : 23-25, Paul encourage l’Église assemblée à être attentive aux « non-croyants » qui pourraient « entrer ». Par conséquent, nos lieux de cultes devraient refléter ce désir d’accueillir tous ceux qui veulent entendre la Bonne Nouvelle. Puissent-ils être accueillants, chaleureux et faciles d’accès pour tout type de public.
Ce sont là quelques exemples. À chacun de poursuivre la réflexion pour que les lieux de cultes mettent en valeur la véritable « maison de Dieu ».
Pour en savoir plus sur l’ouvrage « Parlons mieux ! » ou pour commander le livre, rendez-vous sur le store de l’éditeur.
Que dit la Bible sur l’épidémie de coronavirus ?
La Bible ne parle (probablement) pas directement de l’épidémie de COVID-19 que notre monde endure actuellement. Néanmoins, elle a bien des choses à dire sur la maladie, les épidémies, la guérison et notre attitude à adopter au milieu de toute cela. Par cet article, je propose quelques réflexions de théologie biblique sur ces questions.
La maladie comme conséquence du péché de l’humanité
Du point de vue de la théologie biblique, la maladie est avant tout une conséquence du « péché d’Adam ». La désobéissance des premiers humains envers leur créateur a pour conséquence de les mettre à l’écart de la présence de celui qui est la source de la vie. En refusant de dépendre entièrement de son créateur, l’humanité est condamnée à errer loin de « l’arbre de la vie » (Gn 3.22) qui procure la « guérison des nations » (Ap 22.2). Le péché a pour conséquence la souffrance, la malédiction de la terre, la pénibilité du travail et, ultimement, la mort (Gn 3.16-19). « Le salaire du péché, c’est la mort » (Rm 6.23). Or, la mort est toujours le résultat d’un dysfonctionnement du corps humain, que celui-ci soit progressif (maladie) ou soudain (accident, meurtre).
La maladie comme conséquence du péché de l’individu malade ?
Quelques textes suggèrent que la maladie d’un individu peut être la conséquence directe de son péché (par exemple Jc 5.16). Cela se conçoit facilement lorsque celui-ci a un comportement à risque ou un mode de vie qui met en danger sa santé (excès d’alcool ou de tabac, mauvaise hygiène de vie, pratiques sexuelles à risque, etc.). La Bible contient aussi des exemples de cas où Dieu manifeste son jugement individuel en envoyant une maladie, comme pour Myriam (Nb 12.10), le roi Osias (2 Chr 26.16-21) ou le faux prophète Elymas (Ac 13.11).
Néanmoins, le livre de Job ou le cas de l’aveugle guéri par Jésus (Jn 9.1-3) nous invitent à la prudence : la maladie n’est pas toujours une conséquence directe du péché de l’individu malade. Les amis de Job sont sévèrement réprimandés par Dieu pour avoir insinué que le péché de Job était la cause de sa maladie (Jb 42.7-8). Inversement, les évangiles nous laissent l’exemple de l’attitude de Jésus envers les malades : une attitude avant tout marquée par la compassion (Mt 14.14 ; Mc 1.41).
Et le rôle du diable dans la maladie ?
Si la maladie est avant tout une conséquence générale du péché de l’humanité, plusieurs textes montrent que Satan est aussi acteur dans la maladie. Dès Genèse 3, on observe que, si l’être humain est pleinement responsable et coupable devant Dieu, le serpent est celui qui a poussé Adam et Eve vers l’arbre de la mort. Satan est celui qui frappe Job de maladie (Jb 2.7), même s’il ne peut le faire que parce que Dieu l’y autorise (Jb 2.4-6). Dans les évangiles de Matthieu et de Luc, la distinction entre maladie et action démoniaque n’est pas toujours très claire. Jésus est plusieurs fois présenté comme « guérissant » quelqu’un en « chassant un démon » (voir, par exemple, Mt 12.22; 15.21-28; 17.14-18; Lc 8.2). Cela montre que ce que nous appellerions maladie dans notre langage d’aujourd’hui est parfois présenté par la Bible comme lié à une activité démoniaque. Après tout, la Bible montre que le diable est l’instigateur du péché dont l’être humain est pleinement responsable et qui a pour conséquence la maladie et la mort. Ainsi, en Actes 10.38, Paul rappelle que Jésus, « guérissait tous ceux qui étaient opprimés par le diable ».
Les épidémies comme signes du jugement de Dieu
De façon systématique, les textes bibliques présentent les épidémies comme des manifestations du jugement de Dieu. Au sein de la Loi donnée à Israël, les épidémies font partie des malédictions divines liées à la rupture de l’alliance (Lv 26.16, 25 ; Dt 28.21-22). Cette manifestation du jugement de Dieu sur son peuple désobéissant est rappelée à plusieurs reprises dans les livres des Rois ou des Chroniques (1 R 8.37 ; 2 Chr 6.28; 7.13; 20.9), ainsi que par les prophètes (p. ex. Jr 14.12; 21.6-9 ; Ez 5.12, 17). Dans ces textes, les Israélites sont appelés à comprendre ces épidémies comme un châtiment les invitant à changer d’attitude et à retourner vers le seul vrai Dieu.
Les épidémies sont aussi un moyen utilisé par Dieu pour manifester son jugement envers les nations païennes. C’est le cas dans le cadre des plaies d’Égypte, lorsque Dieu envoie une épidémie affectant le bétail égyptien (Ex 9.1-7) ou qu’il provoque des ulcères (Ex 9.8-12). Les Philistins (1 S 5.6) ou les Assyriens (2 R 19.35) peuvent aussi être affectés par des maladies envoyées par Dieu. Zacharie 14.12 évoque une épidémie eschatologique affectant les nations s’opposant au peuple de Dieu.
Dans l’Apocalypse, plusieurs passages évoquent des épidémies destructrices envoyées par Dieu (Ap 6.8; 8.11; 16.2; 18.8). Il faut probablement comprendre ces fléaux comme des signes du jugement dernier auquel aucun être humain ne peut échapper (voir Ap 20.11-15). Face aux épidémies, les humains sont appelés à réaliser que nul ne peut éviter la mort et que tous auront à rendre des comptes devant leur créateur. Elles sont des signes d’un jugement bien plus grand et définitif : à cause de notre péché, c’est un châtiment éternel qui attend chacun d’entre nous.
Les épidémies affectent des peuples entiers, déstabilisent des nations puissantes et provoquent la panique sur toute la terre. Même les puissants de la terre en sont réduits à se « confiner » dans des cavernes (Ap 6.15) et la richesse de « Babylone » ne lui est d’aucun secours (Ap 18.7-8). Ce sont là des signes de la puissance redoutable du divin juge. Face à cette puissance, l’être humain est appelé à réaliser son péché, à plier le genou et à implorer la grâce de Dieu.
Le diable joue-t-il un rôle particulier dans les épidémies ?
Dans tous les textes évoqués ci-dessus, Satan est absent de la scène. Certes, comme nous l’avons vu, la Bible montre que le diable est à l’œuvre derrière la maladie. Toutefois, à ma connaissance, aucun passage ne le présente comme responsable spécifiquement des épidémies. Dans l’Apocalypse, le diable est particulièrement actif mais ses armes ne sont pas la maladie : il cherche plutôt à séduire par la guérison miraculeuse (Ap 13.3, 12), par la puissance et les victoires (Ap 13.4, 7), par des « signes » extraordinaires (Ap 13.13; 16.14; 19.20) ou par l’attrait de la richesse (Ap 17.4). Si Satan n’est pas présenté comme jouant un rôle dans les épidémies, c’est probablement parce que celles-ci sont avant tout des signes du jugement. Or, le jugement est une prérogative divine. Les épidémies nous invitent à tourner les regards vers Dieu, et non pas vers le diable.
Les croyants échappent-ils aux épidémies ?
Si les épidémies sont des signes du jugement de Dieu, on pourrait s’attendre à ce que les croyants, au bénéfice de la grâce de Dieu, y échappent. Le Psaume 91 évoque ainsi la protection de celui qui place sa confiance dans le Seigneur face à une épidémie (Ps 91.6). Le texte de l’Exode précise que, pour cinq des dix plaies d’Égypte, les Israélites ne sont pas atteints par les fléaux qui touchent uniquement les Égyptiens (Ex 8.18-19; 9.4, 6, 26; 10.23; 11.7). De même, dans l’Apocalypse, certains fléaux sont envoyés uniquement à ceux qui ont « la marque de la bête » (Ap 16.2) ou à ceux qui n’ont pas « le sceau de Dieu » (Ap 9.4). Toutefois, dans l’Exode, comme dans l’Apocalypse, ces précisions ne sont pas systématiques, ce qui suggère que les croyants subissent également certaines plaies. De même, les épidémies que Dieu envoie pour punir son peuple qui a rompu l’alliance ne semblent pas faire de distinction entre ceux qui sont idolâtres et ceux qui lui sont restés fidèles.
Il n’y a rien d’étonnant à cela. Les croyants ne sont pas meilleurs que les non-croyants et ils méritent autant le jugement de Dieu. S’ils échappent au jugement dernier et obtiennent la vie éternelle, c’est uniquement par grâce. Pour le moment, ils subissent encore les conséquences du péché sur la création, y compris la maladie et la mort. Ainsi, aucun chrétien depuis 2000 ans n’a résisté à la maladie plus de 120 et quelques années.
La guérison comme signe de la grâce
Bien heureusement, la Bible ne parle pas que de maladies, d’épidémies et de jugement. Dieu lui-même a pris le problème du péché à « bras-le-corps ». Jésus-Christ a cloué sur la croix l’acte de jugement qui nous condamnait (Col 2.14). Il a manifesté sa victoire sur le péché, les puissances démoniaques et leur conséquence : la mort (1 Co 15.54-57). Bien entendu, si Jésus a vaincu la mort, il a aussi remporté la victoire sur la maladie : il est le serviteur souffrant qui « a pris nos infirmités et s’est chargé de nos maladies » (Esa 53.4 ; voir Mt 8.16-17). Ainsi, celui qui place sa foi et son espérance en Jésus-Christ sait qu’en lui, il a la vie éternelle. Il attend le renouvellement final de la création, là où il n’y aura plus « ni deuil, ni souffrance » (Ap 21.4). Si, pour le moment, il continue de subir les conséquences du péché sur la création, il voit au-delà de la souffrance présente et se réjouit de l’éternité qu’il passera avec celui qui est la source de la vie.
En attendant, Dieu continue de manifester sa grâce, sa compassion et sa bonté dans ce monde. Il le fait notamment en accordant très fréquemment la guérison. Toute guérison est un signe de la grâce de Dieu qui pointe vers la manifestation suprême de cette grâce en Jésus-Christ.
La guérison « naturelle » comme signe de la bonté du créateur
Dans le Psaume 139, le psalmiste loue le Seigneur de ce que son corps est une des œuvres de Dieu les plus « extraordinaires » (Ps 139.13-15). En hébreu, le verset 14 utilise le même vocabulaire que celui utilisé ailleurs pour décrire les signes et prodiges miraculeux. Une large majorité des personnes atteintes par le coronavirus guérissent « toutes seules », sans traitement. Cela est dû à l’action des anticorps, « naturellement » présents dans notre corps, et qui combattent le virus. Lorsque l’on s’intéresse au fonctionnement des mécanismes complexes qui permettent à notre corps de guérir « naturellement », on ne peut que s’émerveiller devant « l’œuvre extraordinaire » de notre créateur. Alors que le COVID-19 affole la planète, n’oublions pas que si une très large majorité des personnes contaminées guérissent sans aucun traitement, c’est parce que leur corps a été créé par un Dieu bienveillant.
De la même manière, le Psaume 107 invite les êtres humains à louer Dieu pour toutes les fois où le Seigneur « guérit » les malades et les sauve ainsi de la mort (Ps 107.17-22). Les guérisons que nous considérons comme « normales » ou « naturelles » ne le sont pas. La maladie étant une conséquence du péché, toute rémission est un signe de la grâce et de la bonté de Dieu. Dieu est non seulement le créateur de la nature et celui qui en a fixé les lois, mais il continue d’agir en tant que créateur dans la nature. Par conséquent, lorsque quelqu’un guérit du COVID-19 sans rien faire d’autre que laisser les anticorps agir, ou lorsque Dieu intervient de manière plus explicite pour rendre la vue à un aveugle de naissance, dans les deux cas, c’est le Dieu créateur qui est derrière la guérison.
La médecine comme signe de l’intelligence que Dieu a donnée aux humains
Les textes relatifs à la création soulignent que Dieu a créé les choses de manière ordonnée (voir Gn 1 ; Ps 104). Dieu a tout créé « avec sagesse » (Ps 104.24). Cela suppose qu’il y a un ordre et donc des lois dans la nature. Par ailleurs, l’être humain est présenté comme ayant été créé « à l’image de Dieu » (Gn 1.26) ce qui suppose une certaine intelligence. De plus, il a une responsabilité sur la création : il doit la « cultiver et la garder » (Gn 2.15), mais il a aussi la responsabilité de « nommer » les autres créatures (cf. Gn 2.19-20). Cela implique donc la possibilité – voire la responsabilité – pour l’homme de réfléchir sur le fonctionnement du monde que Dieu a créé. Cette possibilité de la connaissance scientifique est liée à ce que l’on appelle la « révélation générale ». C’est sur la base de cette révélation générale que la science permet à l’être humain d’améliorer ses conditions de vie ou de proposer un traitement pour certaines maladies.
Lorsque la médecine permet de soigner les patients atteints d’une forme grave du COVID-19, c’est donc parce que Dieu l’a rendu possible. Si l’intelligence humaine est obscurcie par le péché (Rm 1.21), Dieu, dans sa grâce, permet à l’être humain de continuer de percevoir certaines vérités générales à travers l’intelligence que le créateur lui a donnée. En tant que croyant, nous devrions donc rendre grâce à Dieu pour toutes les fois où il utilise la médecine pour guérir les malades. Dénigrer la médecine, dans ce qu’elle fait de bien, c’est dénigrer celui qui a donné l’intelligence aux chercheurs et personnels médicaux.
La guérison miraculeuse comme signe du Royaume de Dieu
La Bible enseigne aussi que Dieu est capable de guérir de façon plus inhabituelle, de manière miraculeuse. Je ne m’attarderai pas sur cette question car je la traite en détail dans la série d’articles « Signes, prodiges et miracles dans le Nouveau Testament » (voir ici). Je rappellerai simplement ici que, dans le Nouveau Testament, le miracle est un signe du Royaume de Dieu qui vient. Dans ce cadre, la guérison miraculeuse est comme un « signe avant-coureur » de la nouvelle création où il n’y aura plus ni souffrance, ni mort (Ap 21.4). Les miracles sont des signes de la capacité de Dieu à accomplir le salut promis en Jésus-Christ. Mais gardons bien en tête qu’il ne s’agit que de signes du Royaume qui vient. Il convient de ne pas confondre les temps : les miracles ne sont pas la normalité dans le monde présent (sinon ce ne seraient plus des « miracles »), ils sont des signes avant-coureurs du monde à venir.
Dans le cadre de l’épidémie de COVID-19, il est très difficile de parler de guérison « miraculeuse », vu qu’une large majorité des personnes contaminées guérissent « toutes seules ». Par contre, même s’il ne s’agit pas d’un « miracle » à proprement parler, toutes ces guérisons trouvent leur origine en Dieu et doivent nous pousser à « rendre grâce » !
L’attitude des croyants face à l’épidémie
Pour terminer, j’aimerais suggérer quelques pistes de réflexion biblique quant à l’attitude à adopter en tant que croyants dans cette situation particulière.
Une attitude d’adoration
Le but premier de notre vie est de rendre gloire à notre créateur (Ep 1.4-6). Face à une épidémie qui est un signe du jugement de Dieu, il convient tout d’abord de louer Dieu « parce que ses jugements sont vrais et justes » (Ap 19.2). La justice est une valeur biblique et le croyant doit aussi rendre gloire à Dieu pour sa justice, même s’il n’en comprend pas tous les tenants et aboutissants. Face à ce jugement que nous méritions, nous sommes invités à tourner nos regards vers Jésus-Christ (Ap 5.4-14). Louons Dieu pour la manière dont il a manifesté sa grâce envers nous en Jésus-Christ de telle sorte que nous n’avons plus rien à craindre, même la mort ! Nous pouvons lui rendre gloire également pour toutes les guérisons qu’il opère, pour la force et l’intelligence qu’il procure au personnel soignant.
Des témoins-prophètes
Si les épidémies sont des signes du jugement de Dieu, il est de notre responsabilité de rendre témoignage à l’auteur de ces signes. Dans l’Ancien Testament, les prophètes ont notamment pour rôle de signaler que les catastrophes sont des signes du jugement de Dieu. Lorsque Dieu envoie les plaies en Égypte, il demande systématiquement à Moïse d’aller trouver Pharaon pour lui expliquer la raison de ces « signes et prodiges ». Sans cette « interprétation », le roi d’Égypte aurait probablement tenu les divinités égyptiennes pour responsables. De la même manière, le prophète Élie est envoyé par le Seigneur pour indiquer au roi Achab et à ses sujets que la sécheresse est une conséquence de leur idolâtrie (1 R 17.1; 18.1, 20-46).
L’Apocalypse montre que les témoins de Jésus-Christ sont appelés à jouer un tel rôle « prophétique ». Selon l’interprétation retenue par la plupart des commentateurs actuels, le récit des deux témoins-prophètes d’Apocalypse 11.3-14 est une manière de symboliser le témoignage des chrétiens dans le monde. Ce témoignage se situe dans la continuité de celui de Moïse, qui a changé l’eau en sang ou d’Élie, qui a fermé le ciel pour qu’il ne pleuve pas (Ap 11.6). Certes, ces témoins font face à la persécution : ils sont rejetés et même mis à mort (Ap 11.7-9). Mais cela ne fait que démontrer qu’ils sont des témoins dans la continuité du témoin par excellence, Jésus-Christ. Le récit se termine en indiquant qu’après un tremblement de terre faisant sept mille morts, « les survivants furent remplis de crainte et rendirent gloire au Dieu du ciel » (Ap 11.13). Autrement dit, la mort des témoins aboutit à la conversion d’un très grand nombre de païens. Ce résultat est d’autant plus frappant que, un peu plus tôt, en Apocalypse 9.13-21, le texte décrit l’envoi de deux myriades de myriades de « cavaliers » destructeurs causant la mort du tiers de l’humanité. Or, ce jugement destructeur ne produit aucun changement dans l’attitude des survivants : « les survivants » ne changent pas d’attitude et ne cessent pas d’adorer des idoles qui « ne peuvent ni voir, ni entendre, ni marcher » (Ap 9.20-21). Ainsi, le témoignage de « deux » témoins-prophètes aboutit à la conversion des nations alors que l’envoi d’une impressionnante cavalerie de « deux myriades de myriades » ne produit aucun changement. Au sein de la catastrophe que vit notre monde, les croyants sont appelés à être ces témoins qui interprètent les « signes » par une « parole prophétique » invitant à tourner les regards vers Dieu.
Témoins de l’Évangile
Cette parole que nous sommes appelés à porter en tant que chrétiens, c’est avant tout l’Évangile de Jésus-Christ. Dans un monde qui entrevoit le jugement, la Bonne Nouvelle de l’Évangile est particulièrement d’actualité ! L’épidémie nous place devant la réalité de la mort. Le confinement bouscule nos habitudes et nous oblige à revoir nos priorités. Tout cela pousse nos contemporains à réfléchir au sens de la vie. Dans ce contexte, laissons le Saint-Esprit renouveler notre intelligence pour que nous puissions trouver les mots justes pour transmettre la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ.
Témoins de l’espérance
Dans un contexte marqué par l’inquiétude et la peur, l’espérance que nous trouvons en Jésus-Christ devrait interpeler notre entourage (1 P 3.15). Dans un temps d’obscurité, nous sommes appelés à être la « lumière du monde » (Mt 5.14). Notre attitude doit être celle de personnes « réveillées » qui manifestent la lumière du « jour qui vient » (Rm 13.11-14). Romains 12 et 13 nous propose quelques exemples concrets qui me semblent particulièrement pertinents dans le contexte actuel : se « réjouir dans l’espérance », se consacrer à la prière (Rm 12.12), aider (matériellement) ceux qui sont dans le besoin (Rm 12.13), bénir (Rm 12.14), pleurer avec ceux qui pleurent (Rm 12.15), manifester l’unité des chrétiens et ne pas se croire plus intelligent que les autres (Rm 12.16), ne « pas rendre le mal pour le mal » mais être « vainqueur du mal par le bien » (Rm 12.17-21), être soumis aux autorités (Rm 13.1-5), payer ses impôts (Rm 13.6-7) et, par-dessus tout, aimer son prochain (Rm 13.8-10). Tout un programme !
3 podcasts à écouter en ligne
Pascal Denault et Guillaume Bourin m’ont récemment invités à enregistrer 3 émissions pour leur podcast « Coram Deo ».
Dans la première émission, nous abordons la question de la critique textuelle.
(1) Qu’est-ce que la critique textuelle ?
(2) Certains affirment que que la critique textuelle ne fait que produire un texte non fiable. Est-ce vrai ? Que répondre à une telle objection, notamment d’un point de vue pastoral ?
(3) Il existe dans certains milieux une forte préférence (parfois une préférence exclusive) pour les traductions qui viennent du Texte Reçu ou encore du Texte Majoritaire. Que sont ces textes ? Pourquoi certains le préfèrent et comment nous devrions nous situer par rapport à cette croyance ?
Pour écouter le podcast rendez-vous ici.
La deuxième émission traite de la question du canon du Nouveau Testament.
(1) Quelles sont les différentes théories, en particulier celles qui s’opposent à la vue traditionnelle, concernant la formation du canon néotestamentaire ?
(2) Vis-à-vis de ces théories, comment les évangéliques croient-ils que le canon du NT a-t-il été formé ?
(3) Le canon est-il réellement clos ? Par exemple, que ce passerait-il en cas de découverte d’une autre épître de Paul aux Corinthiens ?
Pour écouter le podcast rendez-vous ici.
La troisième émission aborde la question de la littérature intertestamentaire.
(1) Comment définir la littérature intertestamentaire ? De quels textes est-elle composée ?
(2) Pourquoi les écrits intertestamentaires n’avaient pas la même valeur que les Écritures aux yeux du peuple juif?
(3) À partir de quand les écrits apocryphes ont-ils commencés à être utilisé par les chrétiens pour justifier des doctrines?
(4) Comment la littérature du second temple peut-elle nous aider à mieux comprendre le contexte du Nouveau Testament? Est-ce que certains théologiens vont trop loin dans ce sens?
Pour écouter le podcast rendez-vous ici.
4.2 Donner une juste place aux miracles dans la vie de l’Église
Dans la précédente partie, j’ai montré qu’il était légitime de s’attendre à vivre le miraculeux dans l’Église d’aujourd’hui. Ceci étant dit, nous avons tous en tête les exemples de faux apôtres ou pseudo-ministères qui mettent en avant leurs miracles. Nous avons aussi probablement à l’esprit certaines expériences douloureuses ou certains excès en rapport à la question des miracles.
Comment donc accorder une place aux miracles dans la vie de l’Église qui corresponde à l’équilibre biblique ?
Les miracles sont faits pour être vécus et non pas pour être promus
Comme je l’ai indiqué dans la deuxième partie de la série (voir ici), les enseignements des apôtres transmis par les lettres du Nouveau Testament sont étrangement silencieux sur la question des miracles. Les miracles étaient vécus au sein des églises, mais on n’en faisait pas le sujet numéro des prédications. Ce qui est au cœur de l’enseignement ou de la prédication des apôtres, c’est la Bonne nouvelle de Jésus-Christ, pas les miracles.
Un risque pour toute Église qui a vécu quelques miracles étonnants est de leur donner trop de place. On ne parle que de ça, on met ça en avant sur les affiches. Et les miracles deviennent le fondement de la vie de l’Église. Et lorsque les miracles ne se reproduisent plus, ou lorsque la personne miraculeusement guérie en vient à mourir quelques années plus tard d’une autre maladie… on se rend compte que le fondement était bien fragile. Le seul fondement sur lequel on peut construire la vie de l’Église, c’est Jésus-Christ (1 Co 3.11). Il n’y en a pas d’autre.
Ce qui importe n’est pas le signe mais ce qu’il « signale »
Le deuxième point qui ressort des textes bibliques, c’est que le miracle est avant tout un signe qui nous dit quelque chose de Dieu, de Jésus-Christ, de son salut, de son Royaume. Ainsi le miracle n’est pas une fin en soi : il sert à illustrer le message de l’Évangile, à appuyer le fait qu’il y a un Dieu qui se soucie de nous et qui souhaite nous manifester un salut bien plus incroyable qu’une simple guérison.
Lorsque nous témoignons du miraculeux, apprenons donc à ne pas focaliser l’attention sur le miracle mais sur ce qu’il signale. Je dirais même que la prédication doit être là pour détourner l’attention du miracle et attirer l’attention sur celui qui l’a produit.
Exercer les dons avec « amour »
En 1 Corinthiens 12, Paul valorise la pratique des dons spirituels, au sein desquels figurent la guérison des malades (1 Co 12.9, 28-30) et la réalisation de miracles (1 Co 12.10, 28-29). Or, il est intéressant de voir comment 1 Corinthiens 12 à 14 recommande la mise en pratique de ces dons. Au chapitre 14, Paul met en avant le critère de la « construction » (1 Co 14.12, 26). Tout, dans la vie de l’Église, doit se faire en vue de la construction de l’Église et dans l’ordre. Auparavant, au chapitre 13, Paul a mis en lumière un autre critère indispensable, celui de l’amour. Car ce beau poème sur l’amour que l’on aime lire lors des mariages a d’abord été écrit par Paul pour inviter les Corinthiens à exercer les dons avec amour, et non pas de manière égoïste ou intéressée. Et, ne l’oublions pas, pour Paul, l’amour n’est pas un juste un beau sentiment, c’est quelque chose de très très concret : « l’amour est patient, l’amour est bienveillant, il n’est pas envieux, il n’est pas jaloux, il ne se vante pas, il ne fait rien de malhonnête, il ne cherche pas son propre intérêt, il ne s’irrite pas, il pardonne tout, il croit tout, il espère tout… »
Exercer le discernement
Comme pour tout aspect de la vie chrétienne, nous sommes invités à exercer le discernement en ce qui concerne les miracles. Tous les prétendus miracles, signes et prodiges ne rendent pas forcément gloire à Dieu. Le diable peut aussi utiliser le miracle pour conduire à l’idolâtrie (voir l’Apocalypse). Et même certains qui prétendent faire des miracles « au nom de Jésus » ne sont pas vraiment des représentants du Christ (Mt 7.22-23).
Sur ce point, il est important de noter que le critère pour le discernement n’est pas la forme du miracle. Certes, il peut y avoir des imposteurs qui font de fausses guérisons. Mais, le diable est capable d’accomplir des choses véritablement extraordinaires. Il peut très bien copier certains miracles de Dieu. De même, le caractère surprenant ou bizarre du miracle n’est pas un critère de discernement : Jésus lui-même a fait des choses assez bizarres, comme cracher sur la terre pour faire la boue qu’il met sur les yeux d’un aveugle (Jn 9.6).
En fait, le discernement entre un vrai et un faux miracle se fait avant tout sur la base du message qui accompagne le miracle. Est-ce que le miracle pointe vers le Dieu vivant, manifesté en Jésus-Christ ? Ou est-ce qu’il est là pour pointer vers la puissance du prédicateur ou l’autorité du grand serviteur bien-aimé apôtre du tout-puissant ? Ou vers toute autre forme d’idolâtrie, comme la promesse d’une santé parfaite ici-bas, la promesse de réussite ou de richesse. Vers quelle direction le signe est-il orienté ? Si le signe indique une autre direction que Jésus-Christ, c’est alors un très mauvais signe. Le signe vous envoie vers un précipice et il est grand temps de faire demi-tour.
Ne pas prendre le signe pour un panneau d’arrivée
Un autre élément que j’ai déjà indiqué est qu’il convient de ne pas confondre les temps. Tant que le Christ n’est pas revenu et que le Royaume de Dieu n’a pas été pleinement établi, nous sommes dans une période caractérisée par le « déjà » et le « pas encore ». La guérison miraculeuse est un signe de la santé parfaite dans un corps parfait et éternel. Mais, tant que le Christ n’est pas revenu et que la résurrection des morts n’a pas eu lieu, nous ne sommes pas encore dans ce corps. Ce qui explique que, jusqu’à présent, selon mes informations, aucun chrétien n’a survécu plus de 120 ans environ. Tous ces chrétiens morts depuis 2000 ans ont tous eu au moins un problème de santé qui a provoqué leur mort.
Ainsi, ne confondons pas le signe avec le panneau d’arrivée. Le miracle est un signe extraordinaire qui pointe vers l’ordinaire de la nouvelle création.
Savoir aussi valoriser « l’ordinaire »
Il convient aussi de faire attention à un risque lié à une trop grande mise en avant des miracles. En survalorisant l’extraordinaire, cela peut avoir pour effet de négliger « l’ordinaire ». L’insistance sur les manifestations extraordinaires de Dieu peut avoir pour effet de dénigrer sa manière « ordinaire » d’agir. Dieu n’est pas absent de sa création : c’est lui qui donne la vie, c’est lui qui la maintient, c’est lui qui nous « donne les pluies et les saisons fertiles, qui nous comble de nourriture et de bonheur » (Ac 14.17).
De plus, en mettant trop en avant la guérison miraculeuse ou la provision miraculeuse, cela pourrait avoir pour effet de négliger l’importance du travail. Dans l’ordre des choses voulu par Dieu, le travail est le moyen normal par lequel nous pouvons subvenir à nos besoins. On se représente souvent le jardin d’Eden avec Adam et Eve en train de flâner, faire la sieste et se régaler avec les bons fruits. Mais on oublie que Dieu n’a pas demandé à l’être humain de profiter du jardin comme d’un marché géant à sa disposition : il devait cultiver le jardin (Gn 2.15). Dans le cours normal de la création, Dieu n’envoie pas ses bénédictions sous forme de paquets cadeaux qui tombent du ciel. Il nous associe dans sa création par le travail.
Ainsi, la médecine moderne qui permet de soigner bien des maladies autrefois incurables fait partie des grâces communes offertes par Dieu. Le travail médical est le moyen ordinaire utilisé par Dieu pour guérir les malades.
Soyons donc attentifs à ne pas négliger les bénédictions ordinaires au profit des bénédictions extraordinaires. Toutes viennent de Dieu et méritent ses louanges. À Dieu seul soit la gloire !
4.1 La question de l’actualité des miracles
Pour terminer cette série, j’aimerais proposer quelques réflexions en vue d’une application de l’enseignement biblique en lien avec le contexte contemporain. Quelle place faut-il accorder aux miracles dans la vie de l’Église ? Cette quatrième partie est divisée en deux sous-parties. La première question, traitée dans ce post, concerne l’actualité des miracles. Doit-on s’attendre à voir des miracles dans l’Église d’aujourd’hui ?
Le point de vue cessationiste
Selon le point de vue de certains théologiens que l’on appelle « cessationistes », les dons miraculeux étaient réservés à l’époque de Jésus et des apôtres. Les miracles servaient à attester la révélation de Jésus-Christ. Mais, maintenant que cette révélation a été transmise une fois pour toute à travers les écrits bibliques, les miracles ne sont plus utiles. Ce qui explique, selon eux, que l’on ne voit plus de vrais miracles accompagnant la prédication de l’Évangile depuis la fin de la période apostolique et jusqu’à aujourd’hui.
Bien entendu, ce dernier constat de type historique, est particulièrement discutable. Des témoignages de miracles qui rendent gloire à Dieu, il en existe des milliers rien qu’à l’époque contemporaine. Moi-même, bien que venant d’un pays très rationaliste et malgré mon jeune âge, j’ai déjà vu plusieurs miracles. Alors, bien sûr, les cessationistes diront que je me trompe et que je prends pour un miracle ce qui n’en était pas un. Mais cela reste le point de vue de l’un contre le point de vue d’un autre.
Principaux arguments bibliques
Ce qui fait autorité pour nous, ce n’est pas l’histoire de l’Église ou les témoignages des uns et des autres, mais ce que dit la Bible. Quels sont donc les arguments bibliques sur ce sujet ?
- Les cessationistes soulignent le fait que, dans le Nouveau Testament, en dehors de Jésus, tous les miracles sont accomplis par les apôtres ou leurs collaborateurs comme Étienne, Philippe ou Barnabas.
- Réponse: Il est vrai que l’on n’a pas d’exemple de miracle accompli par un simple membre d’église. Toutefois, il faut se souvenir que les récits du Nouveau Testament se focalisent sur le ministère des apôtres et de leurs collaborateurs. Le livre des Actes s’intéresse aux actes des « apôtres ». Il ne nous dit rien sur le ministère d’autres chrétiens. De ce fait, si l’on applique le raisonnement des cessationistes à d’autres questions comme l’enseignement, on se rend vite compte des limites. En effet, dans le livre des Actes, l’enseignement chrétien est uniquement accompli par les apôtres ou leurs collaborateurs. Faut-il en déduire que l’enseignement n’est plus d’actualité et que l’on devrait s’en passer dans l’Eglise d’aujourd’hui ?
- En 2 Corinthiens 12.12, Paul présente les « signes, prodiges et miracles » comme les « signes de son apostolat ». Selon les cessationistes, cela suggère un lien particulier entre le ministère des apôtres et les miracles.
- Réponse : Là encore, on fait dire au texte ce qu’il ne dit pas. Il est vrai, comme nous l’avons vu, que les miracles servent à authentifier la prédication des prophètes et apôtres. C’est cette idée que Paul reprend dans ce texte. Mais, cela ne signifie pas que les miracles étaient réservés aux apôtres. D’ailleurs, en 2 Corinthiens, Paul préfère mettre en avant d’autres preuves de son apostolat : ses souffrances, son travail dur au service des églises, les persécutions endurées. Est-ce que cela signifie que la souffrance ou la persécution est réservée au ministère des apôtres ?
- En Hébreux 2.4, les cessationistes comprennent les « signes, prodiges et miracles » donnés par Dieu pour « sur-attester » le message du salut, comme se référant au ministère des apôtres.
- Réponse : Dans le survol des données néotestamentaires (voir ici), j’ai indiqué qu’il y avait ici une difficulté de traduction. Certains interprètes pensent que le texte se réfère non pas au ministère des apôtres, mais aux miracles qui se produisent dans l’Église en général. De plus, même s’il fallait lire le texte comme une référence au ministère des apôtres, cela ne dit rien sur la question de la cessation des miracles.
En fait, il n’y aucun texte du NT qui indique explicitement que les miracles sont réservés à la période apostolique et qu’ils cesseront par la suite. Alors, pourquoi les cessationistes tiennent-ils tant à ce que les miracles soient limités à la période des apôtres ?
Le rôle des miracles dans la doctrine de l’autorité et de la suffisance de l’Écriture
Il me semble que derrière tout cela, on trouve chez les cessationistes, un souci particulier : celui de l’autorité et de la place centrale de la Bible dans la vie de l’Église. En effet, selon la doctrine classique de l’Écriture, Dieu a confié un rôle spécifique aux apôtres et à leurs collaborateurs : celui de mettre par écrit la révélation divine, transmise une fois pour toutes en Jésus-Christ. Cette mise par écrit a abouti à la rédaction du Nouveau Testament et à la clôture du canon biblique. Ce rôle spécifique accordé aux apôtres peut s’appuyer notamment sur un texte comme Éphésiens 2.20 qui indique que l’Église a été construite sur le fondement posé par les « apôtres et prophètes ». Ce fondement, comme l’indique la suite du texte, est « la révélation du mystère du Christ » transmis aux apôtres (Ep 3.4-5). Et, comme on ne peut pas poser deux fois le fondement d’un édifice, cela explique que le rôle « fondateur » de ces « apôtres et prophètes » est unique dans l’histoire.
Or, au sein de cette doctrine fondamentale et importante pour tout chrétien, les nombreux signes et miracles en lien avec le ministère des apôtres sont compris comme attestant ce rôle prophétique particulier qui leur est confié. Jusque-là, il me semble que le raisonnement est tout à fait juste.
Il faut donc bien comprendre le souci des cessationistes. Ceux-ci ne sont pas juste anti-charismatiques ou jaloux du succès des Pentecôtistes. Ils voient les miracles contemporains comme une menace pour l’autorité de la Bible. En effet, ceux qui accomplissent des miracles ne vont-ils pas utiliser ces miracles pour défendre l’autorité de leur enseignement, de leur ministère, voire des révélations qui leur sont accordées ? Et en revendiquant une telle autorité pour leur ministère ou leur prédication, ne vont-ils pas prendre la place de la Bible ? De telles dérives ne sont pas juste hypothétiques : elles sont bien présentes autour de nous. Les miracles sont utilisés pour développer un culte de la personnalité, ou pour justifier des prophéties farfelues. Les cessationistes ont donc un souci honorable : celui de défendre l’autorité de l’Écriture, seule norme pour notre foi.
Le miracle ne sert pas seulement à attester la vocation des apôtres
Mais dans ce combat honorable, il me semble que les cessationistes vont trop loin. L’Écriture souligne bien le rôle des miracles pour attester le ministère unique des apôtres à l’origine du Nouveau Testament. Toutefois, la Bible ne limite pas les miracles à ce seul rôle-là.
Le rôle des miracles dans l’annonce de l’Évangile
Comme nous l’avons vu dans la partie précédente, le miracle n’a pas pour unique rôle d’authentifier la prédication apostolique. Il sert aussi à transmettre en « actes » le message de l’Évangile ou à signifier la venue du Royaume de Dieu.
Or, il me semble que tous les chrétiens – y compris les cessationistes – sont d’accord pour dire que le message de l’Évangile a encore besoin d’être proclamé de nos jours. Ou qu’il reste des peuples à qui il faut encore signifier la venue du Royaume de Dieu. Et sur quels textes basons-nous cela ? Principalement sur les textes d’envoi en mission des Évangiles ou des Actes. Or, ces textes associent la proclamation de l’Évangile à la guérison des malades ou à la délivrance. Il n’y a aucune raison de ne retenir qu’une partie de ces textes d’envoi. Alors, certains diront peut-être que dans ces textes, Jésus ne s’adresse qu’aux apôtres. Toutefois, la manière dont ces discours de Jésus ont été écrits par les évangélistes montre clairement que, pour eux, les paroles de Jésus ne concernent pas juste la mission des Douze apôtres. Cette mission des Douze est appelée à se prolonger à travers le ministère des chrétiens au fil des siècles. Ce processus se manifeste particulièrement dans l’Évangile de Luc. En effet, l’envoi des Douze en mission au chapitre 9 est suivi de l’envoi de 72 autres disciples au chapitre 10. Comme pour signaler qu’il est prévu que le nombre de missionnaires ne reste pas bloqué à Douze.
Des « signes et prodiges » caractéristiques de la période située entre les deux venues du Christ
De plus, limiter les « signes et prodiges » à la période apostolique me semble aller dans la direction inverse de la manière dont le Nouveau Testament conçoit les temps. Les auteurs du Nouveau Testament voient en la venue de Jésus le commencement de la période finale de l’histoire. En Actes 2, Pierre affirme que ce qui est en train de sa passer à la Pentecôte, est l’accomplissement de Joël 3 « dans les derniers jours » (Ac 2.17). De ce fait, depuis la venue de Jésus et le déversement de l’Esprit sur le peuple de Dieu il y a 2000 ans, nous sommes dans les derniers jours. Nous vivons la période finale de l’histoire, située entre les deux venues du Christ. Or, selon la citation de Joël 3 en Actes 2 (mais aussi probablement Apocalypse 11), les « signes et prodiges » sont caractéristiques de cette période finale de l’histoire. Depuis 2000 ans, nous vivons la période durant laquelle le peuple de Dieu s’étend à travers toutes les nations de façon assez incroyable. Cette conception néotestamentaire de l’histoire me semble opposée à l’idée que les miracles seraient réservés à quelques dizaines d’années, puis qu’il n’y en aurait plus pendant 2000 ans ou plus.
Le risque de développer l’image d’un Dieu silencieux
Enfin, il me semble que mettre le miraculeux en dehors de l’Église comporte un autre risque. Celui de développer l’image d’un Dieu silencieux depuis presque 2000 ans. Certes, Jésus-Christ est la Parole faite chair, le sommet de la révélation. En lui, tout a été dit. Et il n’y a rien à ajouter. Cela pourrait et devrait suffire pour nous conduire à la foi et au salut. Dieu ne devrait pas avoir besoin de rajouter quoi que ce soit. Mais ce que montrent précisément les récits de miracle dans le Nouveau Testament, c’est que Dieu, dans grâce et sa bienveillance, souhaite quand même manifester concrètement sa puissance. En fait, Jésus lui-même n’aurait pas dû avoir besoin de faire des miracles. Il le reproche d’ailleurs à ceux qui viennent lui demander un miracle. Ils ont Jésus en face d’eux, le Fils de Dieu mort et ressuscité. Cela devrait largement suffire. Pourtant, Dieu a choisi d’ajouter encore le miracle pour « sur-attester » son message de salut (Hb 2.4). Je crois qu’il n’y a pas de raison pour que ce soit différent aujourd’hui. Dieu, dans sa grâce, témoigne de son amour et de sa compassion pour nous, en intervenant de manière extraordinaire pour signifier sa présence, sa puissance et son salut beaucoup plus grand. Il n’est pas absent de nos vies. Il se manifeste au quotidien, parfois de manière extraordinaire. C’est pour cela aussi que nous lui remettons nos besoins concrets, que nous lui demandons de diriger notre vie ici-bas ou que nous prions pour ceux qui sont malades.
Par conséquent, il me parait légitime de prier pour la guérison miraculeuse ou la délivrance de ceux qui souffrent. Et, en particulier, lors de l’annonce de l’Évangile. Prier pour les malades non-chrétiens est un moyen de manifester l’amour du Christ. Lorsque le Seigneur exauce cette prière, cela touche particulièrement les personnes, et, dans bien des cas, les met dans des dispositions de cœur pour une guérison bien plus profonde : celle du salut en Jésus-Christ.
3. Le sens et le rôle des miracles
Que peut-on retenir du parcours des textes du Nouveau Testament en rapport au miracle (voir post précédent) ? Dans cette partie, je propose quelques réflexions sur le sens et le rôle des miracles. Dans la dernière partie, je terminerai par évoquer la question de la place des miracles dans l’Église d’aujourd’hui.
Le miracle comme « acte » qui accompagne la « parole »
Le premier élément que je soulignerai est le fait que les miracles sont, dans le Nouveau Testament, une manière de joindre les « actes » à la « parole ». Le message de l’Évangile n’est pas que de « belles paroles ». Les miracles viennent donner un aspect concret à la bonne nouvelle du salut. Ils témoignent d’un Dieu qui s’incarne en Jésus-Christ pour intervenir dans l’histoire des hommes. Le témoignage chrétien est un témoignage en paroles et en actes : les deux sont indissociables.
Cela explique peut-être pourquoi les épîtres n’en parlent presque pas. En effet, les Actes et les lettres de Paul laissent entendre que le ministère de Paul était accompagné de nombreux miracles. Pourtant, Paul n’en parle presque jamais dans ses lettres. De même pour l’apôtre Pierre dans ses lettres. Cela est peut-être dû au fait que, à la différence des Évangiles et des Actes qui contiennent à la fois des discours et des récits, les épîtres sont uniquement de l’ordre du discours, de l’exhortation, de l’enseignement. Or, les miracles ne sont pas quelque chose qui s’enseigne, mais quelque chose qui se vit. Ils sont un message en actes qui doit nécessairement être accompagné d’un message en parole.
Les miracles comme signes
Cela nous amène à ma deuxième remarque concernant le rôle du miracle comme « signe ». Comme nous l’avons vu, le Nouveau Testament insiste sur le fait que le miracle n’est pas une fin en soi. Les faux-prophètes ou les démons aussi peuvent accomplir des actes extraordinaires. Ce qui fait la valeur du miracle chrétien, c’est son rôle de signe. Mais un signe vers quoi ?
Signes de l’origine divine de la Parole
Comme beaucoup de passages le soulignent, les miracles viennent attester l’origine divine de la prédication de Jésus ou des apôtres. Il y a ainsi, dans la Bible, un lien particulier entre la parole de Dieu et les miracles. On trouve cela déjà dans l’Ancien Testament : les signes et prodiges accompagnent la révélation de la Loi à l’époque de Moïse ; les miracles accompagnent aussi le ministère de certains prophètes comme Élie ou Élisée. Il en est de même dans le Nouveau Testament, les « signes et prodiges » accomplis par Jésus ou les apôtres viennent attester la Parole de Dieu. La Parole faite chair en Jésus-Christ. Et la Parole prêchée par les apôtres, c’est-à-dire la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ.
Comme le dit Hébreux 2.4, par les miracles, signes et prodiges, Dieu vient « sur-attester » le message du salut en Jésus-Christ.
Signes du Royaume de Dieu
Un autre aspect du miracle en tant que « signe » est qu’il signale le Royaume de Dieu. Ainsi, dans les Évangiles, la proclamation du Royaume de Dieu est accompagnée de miracles.
Pour bien comprendre la valeur du miracle en tant que « signe » du Royaume de Dieu, il faut avoir en tête que le Nouveau Testament présente le Royaume de Dieu à la fois comme une réalité présente et une réalité future. En Jésus-Christ, le Royaume de Dieu a été instauré. Toutefois, le Royaume du Christ n’est pas de ce monde, mais du monde à venir. Le Royaume est à la fois une réalité présente et une réalité future. Si nous plaçons notre foi en Jésus-Christ, nous sommes déjà citoyens du Royaume de Dieu. Toutefois, nous ne tirons pas encore tous les bénéfices liés à notre citoyenneté. Nous sommes sauvés, mais nous n’expérimentons pas encore l’ensemble des biens du salut.
Et c’est le cas en particulier de la santé parfaite ou l’absence de souffrance que nous n’expérimenterons que dans la nouvelle création. En cela, la guérison miraculeuse est comme un signe de cette dimension du salut qui nous attend. De même, nous ne vivons pas encore dans un monde où Satan n’a plus aucune influence. En cela, la délivrance miraculeuse est un signe de la victoire du Christ sur Satan qui se manifestera pleinement à la fin des temps. De la même manière, nous ne vivons pas encore dans un monde où la faim et la pauvreté n’existent pas. Ainsi, en multipliant les pains ou en transformant l’eau en vin, Jésus nous laisse entrevoir le banquet eschatologique, manifestation d’une nouvelle création marquée par l’abondance.
Ce n’est pas étonnant que ces signes accompagnent particulièrement l’annonce de la Bonne Nouvelle du salut. Les miracles sont des signes de la capacité de Dieu à accomplir le salut promis en Jésus-Christ.
Mais gardons bien en tête qu’il ne s’agit que de signes du Royaume qui vient. Il convient de ne pas confondre les temps : les miracles ne sont pas la normalité dans le monde présent (sinon ce ne seraient plus des « miracles »), ils sont un signe de ce qui sera la normalité dans le monde à venir.
Les miracles et la foi
Une autre question mérite d’être abordée : celle du rapport entre les miracles et la foi. En effet, dans les Évangiles, la question de la foi ou du manque de foi est souvent abordée en lien avec les miracles.
On peut diviser le sujet en deux sous-questions : 1) La foi est-elle nécessaire pour que Dieu accomplisse des miracles ? 2) Les miracles suscitent-ils la foi ?
La foi est-elle nécessaire pour que Dieu accomplisse des miracles ?
Certains textes des Évangiles semblent indiquer que s’il y a peu de miracles, c’est à cause de l’incrédulité. Lorsque Jésus se rend dans la ville où il a grandi, à Nazareth, il n’accomplit pas beaucoup de miracles. Matthieu 13.58 explique cela ainsi : « Il ne fit pas beaucoup de miracles ici, à cause de leur incrédulité » (cf. Mc 6.6). Dans un autre épisode, les disciples sont présentés comme incapables de guérir un enfant ayant un démon. Et lorsque les disciples demandent à Jésus pourquoi ils n’ont pas pu chasser le démon (Mt 17.14-21), celui-ci répond : « C’est à cause de votre petite foi (διὰ τὴν ὀλιγοπιστίαν ὑμῶν) » (Mt 17.20).
Il me semble que l’on ne peut pas écarter le caractère interpellant de ces affirmations de Jésus. Ces affirmations sont là pour nous faire réfléchir sur notre foi. Comme nous l’avons vu, les miracles sont un signe de la capacité de Dieu à accomplir son salut : il est un Dieu tout-puissant pour guérir, délivrer, restaurer et sauver. Le salut accompli en Jésus-Christ est bien plus grand que la guérison d’un aveugle ou la délivrance d’un démoniaque. Le fait que les disciples n’aient pas la foi pour un simple miracle, souligne la petitesse de leur foi.
D’un autre côté, il ne faudrait pas déduire de ces passages que Dieu ne peut faire des miracles que si nous l’en croyons capable. D’autres passages des Évangiles indiquent que Jésus a accompli des miracles parmi les incrédules. Ainsi, par exemple, Jésus reproche aux villes de Chorazin et Bethsaïda de ne pas s’être converties malgré les nombreux miracles qui ont été accomplis dans ces villes (Mt 11.20-24 // Lc 10.12-15). Comme l’indique Hébreu 2.4, Dieu accomplit des miracles « comme il le veut ». De même, en 1 Corinthiens 12, les miracles sont présentés comme des « dons de la grâce » (1 Co 12.4, 9-10) que le Dieu trinitaire « dispense » librement « comme il veut » (1 Co 12.11).
Les miracles suscitent-ils la foi ?
La deuxième question concerne non pas la foi nécessaire pour produire le miracle, mais la foi que pourrait produire le miracle. Est-ce que le miracle permet aux non-croyants de croire ? Est-ce que le miracle vient renforcer la foi des croyants ?
Là encore, les données sont contrastées. D’un côté, plusieurs passages indiquent que le miracle est utilisé par Dieu pour conduire à la foi en Jésus-Christ. Comme je l’ai déjà signalé, les miracles viennent attester le message du salut. Ils sont une sorte de preuve supplémentaire donnée par Dieu face à notre incrédulité. L’Évangile de Jean souligne particulièrement ce point : les « signes » opérés par Jésus l’ont été « pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu » (Jn 20.30-31). Certes, dans l’idéal, nous ne devrions pas avoir besoin de « signes » pour croire. Jésus s’énerve contre ceux qui lui demandent un « signe » (cf. Mt 12.38-39 // Lc 11.29). Mais, comme pour Thomas qui avait besoin de voir et de toucher Jésus pour croire, Dieu ne refuse pas de nous accorder ces preuves supplémentaires. Au contraire, les récits du Nouveau Testament en sont plein.
D’un autre côté, de nombreux passages rapportent l’incrédulité de beaucoup, malgré les miracles. Les villes de Chorazin et de Bethsaïda sont restées largement inconverties malgré les nombreux miracles. Certains Juifs accusent même Jésus de faire les miracles grâce au pouvoir de Satan (Mt 12.24-26). Cela montre que même les fabuleux miracles accomplis par Jésus ne conduisent pas forcément à la foi. Et pourtant Jésus fut le plus grand évangéliste, le meilleur prédicateur et le plus fabuleux des faiseurs de miracles que le monde n’ait jamais connu. Ainsi, même avec une accumulation incroyable de preuves, le cœur de l’homme peut rester fermé à la bonne nouvelle de l’Évangile.
2. Panorama néotestamentaire du miracle
Après avoir introduit le sujet (voir ici) et proposé une définition du « miracle » selon le Nouveau Testament (voir ici), cette deuxième partie propose de parcourir les textes du Nouveau Testament en rapport aux « miracles, signes et prodiges ».
Lorsque l’on regarde la place du miracle dans le Nouveau Testament, un constat s’impose : les Évangiles donnent une très large place au miraculeux. On trouve également divers récits de miracles dans les Actes. Toutefois, dans le reste du Nouveau Testament, la question des miracles est quasiment absente. Certes, les miracles, signes et prodiges sont mentionnés quelques fois dans les lettres de Paul et dans l’épître aux Hébreux, ou dans l’Apocalypse. Mais c’est toujours de manière très courte, en passant. Aucune péricope des lettres du Nouveau Testament n’est consacrée à la question des miracles.
Les miracles dans les Évangiles
Lorsque l’on évoque les miracles dans le Nouveau Testament, on pense tout de suite aux miracles de Jésus. En effet, la plupart des miracles dont nous parle le Nouveau Testament ont été accomplis par Jésus.
Jésus comme faiseur de miracles : un fait historique
C’est un point que même les historiens les plus sceptiques affirment : Jésus était connu par ses contemporains comme un faiseur de miracles. Aucune source antique ne conteste ce fait. L’historien juif Flavius Josèphe parle de Jésus comme d’un « faiseur d’œuvres prodigieuses (παραδόξων ἔργων ποιητής) » (Antiquités Juives 18.63). Les traditions juives anciennes que l’on trouve notamment dans le Talmud présentent Jésus comme un magicien qui aurait obtenu ses pouvoirs d’une manière frauduleuse et qui les utilisait pour conduire le peuple à l’idolâtrie (voir, par exemple b. Sanhédrin 43a ; 107b ; b. Sota 47a ; b. Shabbat 104b). Si ces textes juifs polémiques présentent Jésus comme un faux prophète, ils ne contestent pas sa capacité à accomplir des miracles. De son vivant ici-bas, Jésus était connu pour ses miracles.
La place des récits miracles dans les évangiles
Les évangiles que l’on trouve dans notre Bible sont généralement divisés en 2 grandes parties : le récit du ministère de Jésus et le récit de la semaine sainte. Au sein de la première partie qui rapporte le ministère de Jésus, on trouve deux principaux types de matériau : des discours ou paroles de Jésus et des récits de miracles accomplis par Jésus. En fait, si vous enleviez les récits de miracle de la première partie des évangiles, il ne resterait pratiquement que des discours de Jésus. Ainsi, le ministère de Jésus peut être résumé à ces deux points principaux : un ministère de prédication accompagné de signes, prodiges et miracles. Lorsque les disciples de Jean-Baptiste viennent trouver Jésus, c’est de cette manière que Jésus lui-même résume son ministère : « les aveugles recouvrent la vue, les paralytiques marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent et la bonne nouvelle est annoncée aux pauvres » (Mt 11.5 = Lc 7.22).
Ce constat est commun aux quatre évangiles. Toutefois, si le Nouveau Testament contient quatre évangiles, ce n’est pas pour nous raconter quatre fois la même chose. Pour rédiger son évangile, chaque évangéliste a sélectionné certains éléments de la vie de Jésus et les a présentés d’une manière à mettre en lumière certains aspects importants de l’identité de Jésus. Il en est de même pour les récits de miracles. Si les quatre évangiles donnent une large place aux miracles dans le récit du ministère de Jésus, l’accent n’est pas le même selon l’évangile[1].
Matthieu
Dans l’Évangile de Matthieu, la prédication de Jésus est première par rapport aux miracles. Les miracles viennent illustrer les discours de Jésus.
Ainsi, par exemple, aux chapitres 5 à 7, le sermon sur la montagne constitue le premier grand discours de Jésus. Ce discours se termine sur l’affirmation que Jésus enseignait non pas comme un scribe mais comme quelqu’un « qui a autorité (ἐξουσία / exousia) » (Mt 7.29). Puis s’en suivent, aux chapitres 8 et 9 le récit de toute une série de miracles accomplis par Jésus qui ont pour but de souligner cette autorité de Jésus sur les démons, la maladie et même le péché (cf. Mt 9.6, 8). Les miracles viennent confirmer le message de Jésus.
Marc
Dans l’Évangile de Marc, l’ordre est différent : la priorité est d’abord donnée au miracle. Un des aspects particuliers de l’Évangile de Marc est de pousser le lecteur à réfléchir sur l’identité de Jésus. L’Évangile peut se lire un peu comme une enquête policière qui invite à se poser la question : « mais qui est donc ce Jésus ? ». Ainsi, l’Évangile de Marc laisse planer un certain mystère. Jésus est comme un agent secret qui invite certains à garder le silence au sujet de sa véritable identité.
Au sein de cette enquête autour de l’identité de Jésus, il n’est pas anodin que Jésus soit présenté d’abord comme un faiseur de miracles. En effet, comme je l’ai indiqué plus haut, lorsque Marc rédige son Évangile, Jésus est avant tout connu par les non-chrétiens comme un guérisseur ou faiseur de miracles. C’est à cause de cela que les foules viennent consulter Jésus jusque tard dans la nuit, comme le souligne déjà le chapitre 1 (Mc 1.32-34). Mais ce que souligne aussi l’Évangile de Marc, c’est que ce pouvoir de Jésus interroge les foules : « qu’est-ce que cela ? d’où lui vient une telle autorité » (cf. Mc 1.27), « qui est cet homme ? » (cf. Mc 2.7). Cette présentation du ministère de Jésus invite ainsi le lecteur à s’interroger : « Jésus n’est-il pas plus qu’un faiseur de miracles ? ». « N’est-il pas le fils de Dieu » comme le déclarent les démons ? (Mc 3.11 ; 5.7 ; cf. 1.24).
Luc
Dans l’Évangile de Luc, le miracle ne précède pas le message comme chez Marc, il ne le suit pas non plus comme chez Matthieu. Chez Luc, les miracles accompagnent le message. Le ministère de Jésus est un ministère en parole et en actes.
Cet aspect est mis en avant par le discours inaugural de Jésus que l’on trouve en Luc 4. Dans ce discours dans la synagogue de Nazareth, Jésus lit Ésaïe 61 : « L’Esprit du Seigneur est sur moi car il m’a oint pour annoncer une bonne nouvelle aux pauvres, il m’a envoyé pour proclamer aux captifs la libération, aux aveugles le recouvrement de la vue… » (Lc 4.18). Et Jésus conclut sa lecture en déclarant : « aujourd’hui cette écriture est accomplie » (Lc 4.21). Ainsi, l’œuvre de Luc met l’accent sur le fait que Jésus est l’oint prophétique dans la lignée de Moïse, Élie ou Élisée. Comme chez ces illustres prophètes, la prédication de Jésus s’accompagne de signes et prodiges.
Ces signes et prodiges viennent attester la vocation particulière de Jésus et l’origine divine de son message.
Jean
L’Évangile de Jean est celui qui rapporte le plus petit nombre de miracles de Jésus. Toutefois, si Jean ne présente que quelques miracles de Jésus (Jn 2.1–12 ; 4.46–54 ; 5.1–18 ; 6.1–15, 16–21; 9.1–7; 11.1–57; 21.4–14), il leur accorde une place fondamentale dans la première partie de l’Évangile. Ainsi, les chapitres 2 à 11 de l’Évangile sont construits autour de 7 récits de miracles bien choisis. Jean commence par rapporter un miracle, puis il nous présente les réactions que suscitent ce miracle.
Il faut noter aussi une différence dans le langage. Alors que dans les trois autres évangiles, c’est surtout le mot δύναμις / dunamis (acte de puissance) qui sert à désigner les miracles, chez Jean, les miracles sont toujours désignés par le mot « signe (σημεῖον / sèméion) ». Ce choix de langage n’est pas du tout anodin.
Les 7 « signes » que Jean rapporte aux chapitres 2 à 11 sont là pour révéler l’identité de Jésus. Et en découvrant cette identité, le lecteur est invité à croire en Jésus. C’est ce que Jean déclare à la fin de son Évangile : « Jésus a réalisé de nombreux autres signes devant les disciples, qui ne sont pas écrits dans ce livre. Ceux-ci ont été écrit afin que vous croyiez que Jésus est le Christ, le fils de Dieu, et que, en croyant, vous ayez la vie en son nom » (Jn 20.30-31).
Ainsi, les miracles ne sont pas une fin en soi, mais un moyen de « signaler » l’identité de Jésus, Fils de Dieu. L’objectif étant de susciter la foi en celui qui seul peut nous procurer la vie, la vraie, la vie éternelle.
Les miracles dans les Actes
Le livre des Actes constitue la deuxième partie de l’œuvre de Luc : il est donc intéressant de le lire dans le prolongement de l’Évangile de Luc. En effet, dans sa manière de décrire les débuts de l’Église, Luc montre comment le ministère des premiers chrétiens fait écho au ministère de Jésus. Ainsi, si l’Évangile de Luc présente le ministère de Jésus comme un ministère en paroles et en actes, il en est de même pour le ministère des apôtres.
Les miracles et la venue du Saint-Esprit
La manière dont débute le livre des Actes est significative à ce sujet. Dans l’Évangile de Luc, le ministère de Jésus est inauguré par la venue de l’Esprit lors de son baptême. Cette venue de l’Esprit est ensuite expliquée grâce à la citation d’Ésaïe 61 dont Jésus dit « aujourd’hui cela s’est accompli ». Le livre des Actes commence d’une manière similaire.
En Actes 2, le Saint-Esprit vient sur les disciples lors de la Pentecôte. Puis Pierre prend la parole en expliquant que ce qui se passe ici est la réalisation de la promesse de Joël 3. On retient généralement la première partie de cette citation concernant la généralisation de la prophétie : « dans les derniers temps, dit Dieu, je répandrai de mon Esprit sur toute chair, vos fils et vos filles prophétiseront, vos jeunes gens verront des visions et vos vieillards rêveront des rêves… » (Ac 2.17). Ce qui est intéressant, c’est que Pierre continue la citation et mentionne les « prodiges et signes » qui accompagnent cette venue de l’Esprit selon le texte de Joël (Ac 2.19). Et, juste après avoir fini de citer ce texte, Pierre fait le lien entre les « prodiges » annoncés par Joël et le ministère de Jésus : « Jésus le Nazaréen » est présenté comme « un homme accrédité par Dieu à travers les miracles, les prodiges et les signes que Dieu a accomplis par lui au milieu de vous » (Ac 2.22). Enfin, le chapitre 2 des Actes se termine par ce sommaire bien connu : « Ils étaient assidus à l’enseignement des apôtres, à la communion fraternelle, au partage du pain et aux prières. 43La crainte s’emparait de chacun, et beaucoup de prodiges et de signes se produisaient par l’entremise des apôtres. » (Ac 2.42-43).
Le livre des Actes montre clairement que l’Esprit qui était sur Jésus a maintenant été déversé sur les disciples de Jésus. Comme l’avait annoncé Jésus avant son ascension, en Actes 1.8, cet Esprit est une « puissance (δύναμις / dunamis) » pour le témoignage. Cette « puissance » se manifeste à travers des paroles inspirées accompagnées d’« actes de puissance », des miracles.
Des disciples à la suite de leur maître
Cette association entre une prédication inspirée et les miracles est exprimée par exemple en Actes 4. Le Sanhédrin a interdit aux disciples de continuer à prêcher l’Évangile (Ac 4.18). Ceux-ci se réunissent alors pour prier et que demandent-ils à Dieu ? « Donne à tes serviteurs de dire ta parole avec une totale franchise. Étends ta main, qu’il se produise des guérisons, des signes et des prodiges par le nom de ton saint serviteur Jésus ». (Ac 4.29-30). Une fois cette prière terminée, le texte nous dit qu’ils « furent tous remplis du Saint-Esprit » et qu’ils « disaient la parole de Dieu avec franchise » (Ac 4.31).
Ainsi, les disciples du Christ sont situés dans la lignée de leur maître : ils prêchent la bonne nouvelle de l’Évangile et leur prédication est accompagnée de signes et prodiges. Cette continuité est soulignée également par les textes d’envoi dans les Évangiles. Lorsque Jésus envoie ses disciples en mission, il leur ordonne d’aller proclamer la venue du Royaume de Dieu et de guérir les malades et de chasser les démons (Mt 10.1-14 ; Mc 6.7-13 ; Lc 9.1-6). Cela vaut pour les douze, mais aussi pour les soixante-douze dont Luc 10 nous rapporte l’envoi en mission (cf. Lc 10.8-9, 17-20).
Certains ajoutent les derniers versets de l’Évangile de Marc qui mentionnent les « signes qui accompagneront ceux qui auront cru » (Mc 16.17-18). Néanmoins, ce passage est absent des manuscrits les plus anciens. Au vu de nos connaissances actuelles, il parait très probable que l’envoi situé à la fin de Marc ne figurait pas dans le texte original de l’Évangile. Ce récit a probablement été ajouté plus tard. Comme ce qui fait autorité pour nous, c’est le texte original de la Bible, on ne peut donc pas se fonder sur ce passage.
Quoi qu’il en soit, même si l’on ne retient pas ce passage de Marc, cela ne change rien à notre constat : les Évangiles et les Actes présentent clairement les disciples dans la continuité de Jésus. Leur prédication s’accompagne de miracles, signes et prodiges. Il y a toutefois une différence : les miracles de Jésus sont accomplis en son nom propre et attirent l’attention sur sa propre personne ; les miracles des disciples sont accomplis non pas en leur nom propre, mais au nom de Jésus et sont là pour attirer l’attention vers Dieu.
Ainsi, lorsque Simon le magicien souhaite acheter le « pouvoir » des disciples, Pierre le reprend sévèrement (Ac 8.18-24). De même, lorsqu’à Lystres, les miracles accomplis par Paul et Barnabas poussent les gens à les adorer comme des dieux, ils réagissent vivement en invitant à tourner les regards vers le seul vrai Dieu plutôt que vers eux (Ac 14.8-18).
Les miracles dans les épîtres
Comme je l’ai indiqué plus haut, les lettres du Nouveau Testament parlent très peu de la question des miracles.
Les épîtres de Paul
Dans trois passages, l’apôtre Paul fait allusion aux miracles qui ont accompagné sa prédication. Ainsi, par exemple, en Romains 15, il déclare : « Car je n’oserais rien mentionner que le Christ n’ait accompli par moi pour amener les non-Juifs à l’obéissance : en parole et en œuvre, par la puissance de signes et de prodiges, par la puissance de l’Esprit de Dieu. Ainsi, depuis Jérusalem et en rayonnant jusqu’en Illyrie, j’ai annoncé partout la bonne nouvelle du Christ. » (Rm 15.18-19 NBS ; voir aussi 2 Co 12.12 ; Ga 3.5).
Il convient aussi de mentionner 1 Corinthiens 12, où Paul évoque les « miracles » et la guérison parmi les manifestations du Saint-Esprit qui sont données par Dieu aux « uns » et aux « autres » (1 Co 12.10, 28-29). Ce texte montre que, pour Paul, les miracles font partie de la vie ordinaire de l’Église.
Enfin, 2 Thessaloniciens 2.9 évoque les « faux signes et prodiges » d’origine satanique qui seront accomplis par « l’Impie ».
Hébreux 2.4
Dans les autres lettres du Nouveau Testament, la seule mention de miracles se trouve en Hébreux 2.4. Le verset précédent indique que le message du salut a été attesté par Christ puis par ceux qui l’ont connu lors de son ministère terrestre (Hb 2.3). Le verset 4 indique que Dieu « appuie ce témoignage [ou sur-atteste] par les signes, les prodiges, par divers miracles et par la répartition du Saint-Esprit selon ce que Dieu veut » (Hb 2.4).
En grec, le verbe que j’ai traduit par « appuyer le témoignage » est un participe présent. Les interprètes discutent pour savoir si le texte se réfère aux miracles accomplis par les apôtres du passé, ou s’il se réfère aux miracles qui se produisent encore à l’époque où a été écrite l’épître aux Hébreux.
Quoi qu’il en soit, on notera quelques éléments intéressants :
- Les miracles sont encore associés au don du Saint-Esprit, comme dans les Actes et comme chez Paul.
- De plus, ils ont pour but d’attester le message du salut en Jésus-Christ.
- Enfin, ils sont accomplis « selon ce que Dieu veut » et non selon le bon vouloir des êtres humains.
Les signes et prodiges dans l’Apocalypse
Il convient de dire quelques mots des « signes et prodiges » mentionnés par l’Apocalypse. Les chapitres 11 à 20 racontent l’opposition entre deux peuples : le peuple de Dieu, placé sous le règne de l’agneau et le peuple de Satan, placé sous le règne de la bête. Au sein de ces deux peuples, on trouve des prophètes. D’un côté, le chapitre 11 nous présente les témoins-prophètes du Christ. Ces deux prophètes qui, selon l’avis des meilleurs commentateurs, représentent le témoignage de l’Église, sont présentés comme ayant des « pouvoirs » : comme Moïse, ils peuvent changer l’eau en sang et envoyer des « plaies » sur la terre ; comme Élie, ils peuvent fermer le ciel pour qu’il ne pleuve plus. Comme souvent dans l’Apocalypse, il ne faut pas prendre ces éléments au sens propre : l’idée est de souligner que le témoignage prophétique de l’Église, accompagné de signes prodigieux, se situe dans la lignée des prophètes du passé. Néanmoins, il est intéressant de voir que les miracles ici sont des miracles qui signalent le jugement de Dieu.
L’autre camp a aussi son prophète ou plutôt son « faux prophète ». Ce faux prophète est présenté comme produisant des « signes » miraculeux afin de séduire les habitants de la terre et de les pousser à adorer la bête satanique (Ap 13.13-14 ; 16.14 ; 19.20).
Ainsi, comme le soulignent bien d’autres passages du Nouveau Testament, les démons aussi sont capables de faire des choses extraordinaires. Jésus met ainsi en garde contre ceux qui pourraient accomplir de nombreux miracles en son nom mais qu’il ne connait pas (Mt 7.22-23).
Comment donc discerner les vrais et faux miracles ? De tous ces textes ressort un critère assez clair : les vrais miracles orientent les regards vers le seul vrai Dieu, manifesté en Jésus-Christ ; les faux miracles conduisent à l’idolâtrie, c’est-à-dire vers tout ce qui pourrait prendre la place du seul vrai Dieu.
[1] Sur ce point, je me suis surtout inspiré de Graham H. Twelftree, « Miracles and Miracle Stories », in Joel B. Green et al. (dirs.), Dictionary of Jesus and the Gospels, Downers Grove, IVP, 2013 (2e éd. rév., 1ère éd. : 1992), p. 594‑604.