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Introduction
La participation du chrétien aux trois offices du Christ – prêtre, prophète et roi – est une affirmation classique en théologie. Jean Calvin explique que l’onction prophétique du Christ « a été épandue du Chef sur les membres, comme il avait été prédit par Joël : “Vos fils prophétiseront, et vos filles verront des visions” (Joël 2 : 28-29) [1] » (Institution de la religion chrétienne 2.15.2). L’Église catholique intègre à sa liturgie baptismale l’affirmation de la participation du croyant au triple office du Christ : en lui, il est « prêtre, prophète et roi » (Rituel du baptême des petits enfants 221) [2]. Toutefois, peu d’études ont été consacrées à l’étude de cette notion au sein des textes bibliques.
Ma thèse de doctorat a essayé de montrer que cette conviction fondamentale transparait en arrière-plan de plusieurs textes du Nouveau Testament en rapport à la prophétie chrétienne : l’Église constitue, à la suite du Prophète par excellence, un peuple prophétique sur qui a été déversé l’Esprit de prophétie. Cette conviction a des implications théologiques quant à la nature de l’Église : celle-ci ne constitue pas seulement le « temple de Dieu », elle n’est pas uniquement la manifestation du « royaume de Dieu », elle est aussi le « peuple-prophète » de Dieu. Cette dimension prophétique du Corps de Christ a probablement besoin d’être soulignée et rappelée.
Au-delà des implications ecclésiologiques, cette conviction a des conséquences sur la manière dont il convient d’envisager la pratique de la prophétie. La dimension ecclésiale de la pratique prophétique est un élément qui transparait dans absolument tous les textes du Nouveau Testament à ce sujet.
Dans cette série d’articles, je propose de fournir un résumé de l’analyse de trois textes du Nouveau Testament qui me semblent envisager la dimension prophétique de l’Église : (1) le livre des Actes et, en particulier le récit de la venue du Saint-Esprit lors de la Pentecôte (Actes 2) ; (2) la section au sujet des « choses de l’Esprit » en 1 Corinthiens 12 à 14 ; (3) la vision des deux témoins-prophètes en Apocalypse 11. Après la présentation de ces textes, je proposerai quelques éléments de synthèse théologique.
Cette série d’articles a pour but de résumer de façon simplifiée ma thèse de doctorat. On trouvera la version la plus aboutie de ma réflexion à ce sujet dans mon livre La prophétie chrétienne d’après le Nouveau Testament (Excelsis, 2022).
Pour une présentation plus générale de la « prophétie chrétienne », on pourra se référer à la série « La prophétie chrétienne d’après le Nouveau Testament » en accès-libre sur ce site.
L’attente de la généralisation de la prophétie dans l’Ancien Testament
Avant de s’arrêter sur les textes du Nouveau Testament, il est utile de dire quelques mots de l’Ancien. Dans l’Ancien Testament, il est possible que certains passages fassent allusion à la dimension « prophétique » du peuple d’Israël. En Psaumes 105.15, le Seigneur déclare au sujet des patriarches : « Ne touchez pas à mes oints et ne faites pas de mal à mes prophètes ! ». Dans le contexte du psaume, ces titres permettent de souligner le statut privilégié d’Israël parmi les « nations » (Ps 105.12-14) en vertu de « l’alliance éternelle » (Ps 105.5-11). En Ésaïe 59.21, le Seigneur promet : « mon Esprit qui est sur toi et mes paroles que j’ai placées dans ta bouche ne s’écarteront pas de ta bouche ni de la bouche de ta descendance, ni de la bouche de la descendance de ta descendance, dit le Seigneur, dès maintenant et pour toujours ».
Même si ces textes pourraient éventuellement faire une allusion discrète à l’idée qu’Israël serait un peuple « prophétique », dans l’Ancien Testament, le prophétisme est surtout l’affaire de figures individuelles, les « prophètes ». Le prophète de l’Ancien Testament apparait souvent comme une figure relativement solitaire, « seul contre tous ».
Deux textes montrent cependant l’espérance d’un temps où l’Esprit de prophétie sera donné à l’ensemble du peuple du Seigneur. On parle aussi de « démocratisation de la prophétie » ou de « généralisation de la prophétie » :
- En Nombres 11.29, Moïse fait ce souhait : « Si seulement tous ceux du peuple de YHWH étaient des prophètes parce que le Seigneur leur aurait donné son Esprit ! »
- Joël 3 annonce le déversement futur de l’Esprit de YHWH sur « toute chair », de telle sorte que « vos fils et vos filles prophétiseront, vos anciens rêveront des rêves, vos jeunes gens verront des visions ; mais aussi sur les serviteurs et sur les servantes, en ces jours-là, je répandrai mon Esprit. » (Jl 3.1-2). La venue de cet Esprit sera accompagnée de « prodiges dans le ciel et sur la terre » (v. 3-4). En ce jour-là, « celui qui invoquera le nom de YHWH sera sauvé » (v. 5).
La notion d’ « Esprit de prophétie » dans le judaïsme ancien
Un concept nécessite encore d’être introduit avant d’abordes les textes du Nouveau Testament, celui d’« Esprit de prophétie ». L’expression « Esprit de prophétie » était notamment employée dans les Targums, des anciennes traductions araméennes de l’Ancien Testament. Ces traductions rendaient parfois le terme hébreu « Esprit (rouaḥ) » par l’expression araméenne « Esprit de prophétie ». L’expression ne sert pas à désigner un autre Esprit par rapport au Saint-Esprit. Il s’agit d’une métonymie qui permet de mettre l’accent sur la fonction inspiratrice de l’unique Esprit de Dieu. Le Saint-Esprit, en tant qu’Esprit qui inspire les prophètes est « l’Esprit de prophétie ». Le Saint-Esprit est à la fois « Esprit de vie », « Esprit de sainteté » et « Esprit de prophétie ».
Or, dans les textes juifs antérieurs au Nouveau Testament, cette fonction inspiratrice de l’Esprit de prophétie ne se manifeste pas seulement dans la « prophétie » classique, comme celle d’Ésaïe ou Jérémie. L’Esprit de prophétie est aussi celui qui peut inspirer la louange d’Israël : les Psaumes de David sont ainsi considérés comme des chants prophétiques. L’Esprit de prophétie est aussi celui qui inspire la sagesse d’Israël, que ce soit la sagesse de certains célèbres sages ou la sagesse intuitive du peuple. Il est aussi celui qui guide l’interprétation de l’Écriture. Il y a également un lien important qui est fait entre la parole prophétique et les miracles. Tous ces éléments sont déjà entrevus dans l’Ancien Testament. Ils sont développés et mis en avant dans les textes juifs qui ont été écrits entre l’Ancien et le Nouveau Testament.
Ainsi, le concept d’« Esprit de prophétie » se réfère, dans le judaïsme ancien, à la manière dont le Saint-Esprit inspire les paroles et les actes de certains croyants. Pour bien comprendre des passages comme Actes 2 ou 1 Corinthiens 12 à 14, il est important d’avoir en tête cette conception juive du Saint-Esprit comme l’ « Esprit de prophétie ».
[1] Texte repris de Jean Calvin, Institution de la religion chrétienne, trad. par Marie de Védrines et Paul Wells, Aix-en-Provence/Charols, Kerygma/Excelsis, 2009, p. 248.
[2] Voir aussi Lumen gentium 31 ; Christifideles laici 9. Cette déclaration liturgique s’inscrit dans le cadre de la réflexion conciliaire sur le laïcat, qui souligne notamment la participation de chaque croyant à l’office prophétique du Christ (Lumen gentium 35 ; cf. Christifideles laici 14).