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Sommaire de la série
- Qu’est-ce que l’interprétation ?
- Pourquoi a-t-on besoin d’interpréter la Bible ?
- Interpréter l’Ecriture à la manière du Nouveau Testament : 1. La centralité du Christ
- Interpréter l’Ecriture à la manière du Nouveau Testament : 3. Allégorie et typologie
- Interpréter l’Ecriture à la manière du Nouveau Testament : 2. L’importance du contexte
- Interpréter l’Ecriture à la manière du Nouveau Testament : 4. L’analogie de la foi
- Quelques bons ouvrages sur l’interprétation biblique…
Après avoir vu, dans une première partie, ce qu’était « l’interprétation », et avant de proposer quelques pistes sur la manière dont il convient d’interpréter le texte biblique, il convient de se poser la question du « pourquoi ». Pour cela, je vais essayer de répondre brièvement à quelques objections courantes concernant l’étude ou l’interprétation de l’Ecriture.
1. La Bible n’est-elle pas la « Parole de Dieu » ?
En tant que chrétien évangélique, je crois que la Bible est la Parole de Dieu : c’est-à-dire qu’elle est un texte pleinement inspiré qui transmet de manière fiable et sans erreur la pensée de Dieu pour ses destinataires (voir, p. ex., 2 Tim 3.16 ; 2 P 1.21).
Si l’Écriture est la Parole de Dieu, on peut se demander pourquoi il faudrait l’interpréter : Dieu ne parlerait-il pas clairement ?
Cette nécessité de l’interprétation s’explique en réalité par une compréhension équilibrée de la doctrine de l’inspiration de l’Écriture : car, si la Bible est pleinement Parole de Dieu, elle est aussi pleinement parole humaine. L’inspiration ne court-circuite pas la personnalité, le langage, la culture ou le style des auteurs bibliques. La Bible n’a pas été écrite sous la dictée automatique. Certes, certains textes comme le don de la Loi au Sinaï, les livres prophétiques ou certains passages de l’Apocalypse se présentent comme une retranscription directe de paroles de Dieu. Toutefois, même pour ces passages, Dieu s’adresse dans le langage de ceux à qui il s’adresse premièrement : il fait allusion à des éléments historiques ou culturels de leur époque, qui nous sont aujourd’hui étrangers. De plus, ces textes de « révélation directe » ont subi un travail d’édition : les textes de Loi, ou les divers oracles prophétiques n’ont pas été donnés par Dieu le même jour comme un discours suivi. Par exemple, le livre d’Osée présente le ministère du prophète du même nom comme s’étant déroulé sur une période de plusieurs dizaines d’années (Os 1.1) : la rédaction du livre d’Osée a donc nécessité la sélection et une compilation réfléchie des prophéties d’Osée.
Enfin, les textes bibliques qui se présentent comme une révélation directe sont minoritaires : nous avons tout un ensemble de livres bibliques qui sont de type historique, poétique ou qui sont des lettres envoyées à une Eglise. Dans ce cadre, Dieu a pleinement inspiré les auteurs humains, mais il le fait avec leurs pleines capacités intellectuelles, leur langue ou leur style d’écriture. Cela explique que l’on trouve dans la Bible des textes de divers genres, de divers styles, avec différents niveaux de langage.
Puisque la Parole de Dieu est aussi parole d’hommes, nous avons donc besoin de l’interpréter pour pouvoir la comprendre.
2. L’Ecriture n’est-elle pas suffisamment « claire » ?
Depuis le Moyen-Âge et jusqu’au Concile Vatican II (1962-1965), le catholicisme a généralement insisté sur la difficulté à bien comprendre le texte biblique. Pour éviter que le peuple interprète le texte de travers, son étude était confiée aux ecclésiastiques. On estimait qu’ils étaient les seuls à pouvoir légitimement l’interpréter. Cette vision des choses s’explique principalement par l’importance du Magistère dans la conception catholique de la révélation. Dans la pensée catholique, l’Ecriture ne peut être interprétée qu’à la lumière de la Tradition de l’Eglise (c’est-à-dire, la manière dont l’Eglise a compris l’Ecriture au fil des siècles). Or, la Tradition est elle-même portée par le Magistère qui en est le garant.
Dans ce contexte, en Occident, la Bible n’est disponible qu’en latin, la langue de l’Eglise. Sachant qu’avant la fin du 19ème siècle, la majorité de la population est analphabète ; on comprend bien la distance qui existe alors entre les croyants et le texte biblique.
Face à cette situation, les Réformateurs vont insister sur ce qu’on appelle la « clarté de Ecritures ». Dans la lignée des humanistes comme Érasme de Rotterdam, Martin Luther est convaincu qu’il faut « rendre la Bible au peuple ».
Calvin, dans l’Insitution de la religion chrétienne, s’émerveille de la simplicité du texte biblique : « Et de faict, cela n’est pas advenu sans une grande providence de Dieu, que les hauts secrets du Royaume céleste, nous ayent esté pour la plus grand’part baillez sous paroles contemptibles, sans grande éloquence : de peur que s’ils eussent esté fondez et enrichiz d’éloquence, les iniques eussent calomnié ; que la seule faconde eust régné en cest endroit. » (IRC 1.8.1) En français moderne (!) : « C’est par l’action de la providence de Dieu que les secrets les plus grands du Royaume céleste nous ont été livrés en pauvres paroles, dépourvues d’éloquence »[1].
Ainsi, pour les Réformateurs, la Bible est suffisamment claire pour être accessible à tous. C’est cette affirmation qui va les pousser à traduire ou faire traduire la Bible en langue vernaculaire pour que le plus grand nombre puisse y avoir accès.
Les données bibliques en faveur de la clarté des Écritures
La « clarté de l’Écriture » est affirmée par la Bible elle-même. En Deutéronome 6.6-7, Moïse ordonne aux Israélites de transmettre la Loi à leurs enfants : « 6Ces paroles que j’institue pour toi aujourd’hui seront sur ton cœur. 7Tu les inculqueras à tes fils et tu en parleras quand tu seras chez toi et quand tu seras en chemin, quand tu te coucheras et quand tu te lèveras. ». Si les paroles de Dieu doivent être transmises aux enfants, c’est bien qu’elles peuvent être compréhensibles.
De même, Deutéronome 30.11-14 insiste sur la proximité de la Loi divine : « Car ce commandement que j’institue pour toi aujourd’hui n’est pas au-dessus de tes forces ni hors de ta portée » (v. 11). Psaumes 19.8-9 affirme également que « le commandement du Seigneur est limpide » et que « la Loi de l’Eternel rend sage l’homme simple ».
Dans le Nouveau Testament, Jésus fait sans cesse référence à l’Ecriture dans son enseignement, y compris lorsqu’il parle aux foules. Cela sous-entend qu’il considère les foules comme capables de comprendre l’Ecriture. De même, la plupart des lettres du Nouveau Testament sont adressées à des Eglises entières, et devaient être lues non pas uniquement par les responsables, mais en public. Cela suppose qu’elles aient été écrites pour que tous puissent les comprendre.
Si la Bible est « claire », on peut donc se demander pourquoi on aurait besoin de l’étudier, de l’expliquer ou de l’interpréter ?
Les données bibliques qui montrent la difficulté à comprendre l’Ecriture
En réalité, si certains versets affirment la clarté de l’Écriture, d’autres passages indiquent aussi la difficulté de sa compréhension.
En introduction, nous avons évoqué le cas de l’eunuque éthiopien qui ne comprend pas ce qu’il lit (Ac 8.26-40). Autre exemple, le fameux passage de Luc 24, où, après la résurrection, Jésus va rencontrer incognito deux disciples, sur le chemin d’Emmaüs. Jésus leur fait ce reproche : « Que vous êtes stupides ! Comme votre cœur est lent à croire tout ce qu’ont dit les prophètes ! » (Luc 24.25). La suite du texte nous dit que « commençant par Moïse et par tous les Prophètes, il leur fit l’interprétation de ce qui, dans toutes les Ecritures, le concernait. » (Luc 24.27).
2 Pierre 3.16 évoque les lettres de Paul et indique qu’« il s’y trouve des passages difficiles à comprendre, dont les gens ignorants et mal affermis tordent le sens, comme ils le font aussi avec les autres Ecritures, pour leur propre perdition. ».
Clarté des Ecritures et difficulté de certains passages
Comment comprendre que d’un côté la Bible affirme sa clarté, et que, de l’autre côté, elle souligne la difficulté de sa compréhension ?
- Tout d’abord, il faut bien comprendre que l’affirmation de la « clarté » de l’Écriture ne signifie pas que tous les passages de la Bible soient faciles à comprendre. En 2 Pierre 3.16, il n’est pas dit que « les lettres de Paul sont difficiles à comprendre » mais « qu’il y a des passages difficiles ». Il y a bien des passages difficiles qui divisent même les plus grands spécialistes. L’idée est plutôt de dire que la Bible est, dans son ensemble, suffisamment claire, pour que quiconque puisse en comprendre le message central du salut en Jésus-Christ, ainsi que les principes importants pour la vie courante.
- Deuxièmement, la Bible affirme clairement que si certains ne comprennent pas le message de l’Écriture, ce n’est pas parce qu’ils ne seraient pas suffisamment érudits pour pouvoir la comprendre : c’est parce qu’ils ont besoin du Saint-Esprit pour les éclairer. C’est de cette dimension que traitera le prochain point…
3. Le Saint-Esprit ne suffit-il pas pour comprendre les Ecritures ?
Une question importante en ce qui concerne l’interprétation de l’Écriture est celle de l’assistance du Saint-Esprit, ce que les Réformateurs appellent « l’illumination ».
L’érudition n’est pas le gage d’une juste interprétation de l’Écriture : les disciples du Christ furent des hommes assez simples, alors que bien des « maîtres de la Loi » n’ont pas reçu la « Parole de Dieu » faite chair. L’eunuque éthiopien, bien éduqué, et heureux propriétaire d’un rouleau d’Esaïe, eut besoin de l’assistance de Philippe – poussé par l’Esprit – pour y découvrir « la bonne nouvelle de Jésus » (Ac 8.34-35). Une mauvaise interprétation de l’Écriture conduisit même un grand érudit, un pharisien prometteur à persécuter les chrétiens. L’aveuglement de ce juif nommé Saul ne prit fin que lorsque le Saint-Esprit lui (r)ouvrit les yeux à Damas (Ac 9.17-18). Ce n’est qu’à partir de cet instant que son intelligence de l’Écriture, renouvelée par l’Esprit de Dieu, put être mise au service de la « vie » et non plus de la mort (cf. 2 Co 3.6-7).
Cette importance du Saint-Esprit dans la compréhension de l’Écriture est affirmée par Jésus lui-même en Jean 14.26 : « c’est le Défenseur, l’Esprit saint que le Père enverra en mon nom, qui vous enseignera tout et vous rappellera tout ce que, moi, je vous ai dit. »
Au chapitre 2 de la première épître aux Corinthiens, Paul insiste sur la folie du message de la croix, qui ne repose pas sur une sagesse humaine, et il conclut en insistant sur la nécessité de l’Esprit pour comprendre la Bonne Nouvelle du Christ: « 14Mais l’homme naturel n’accueille pas ce qui relève de l’Esprit de Dieu, car c’est une folie pour lui ; il ne peut pas connaître cela, parce que c’est spirituellement qu’on en juge. 15L’être spirituel, lui, juge de tout, tandis que lui-même n’est jugé par personne. 16En effet, qui a connu la pensée du Seigneur, pour l’instruire ? Or nous, nous avons la pensée du Christ » (1 Co 2.14-16).
De la même manière, en 2 Corinthiens 3, Paul explique que : « 15Jusqu’à ce jour, quand on lit Moïse, il y a un voile sur leur cœur ; 16mais lorsqu’on se tourne vers le Seigneur, le voile est enlevé. 17Or le Seigneur, c’est l’Esprit ; et là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté. » (2 Co 3.15-17).
Si donc, le Saint-Esprit est nécessaire pour interpréter l’Écriture correctement et qu’elle devienne une parole de vie pour nous, on pourrait se dire qu’à partir du moment où quelqu’un a le Saint-Esprit, celui-ci ne suffit-il pas pour bien comprendre l’Écriture ?
Pour répondre à cette question, nous devons comprendre que le Saint-Esprit n’agit pas uniquement de manière individuelle, mais au sein du corps de Christ, qu’est l’Église.
En 1 Corinthiens 12, Paul insiste sur le fait que tous les croyants ont été « baptisés dans un même Esprit », mais qu’ils n’ont pas tous reçus les mêmes dons par le Saint-Esprit ; et que par conséquent tous n’ont pas le même rôle. Or, parmi les fonctions ou dons que le Saint-Esprit place dans l’Eglise, on trouve celui d’enseignant (1 Co 12.28 ; cf. Ac 13.1 : Ep 4.11-12 ; etc.).
L’enseignement du Saint-Esprit ne s’effectue pas seulement en « ligne directe », mais aussi par le biais d’autres croyants qui reçoivent la charge particulière de l’enseignement. Ceux-ci doivent y consacrer du temps et de l’énergie (Ac 6.4 ; 1 Tm 4.13 ; 1 Tm 5.17 ; 2 Tm 2.1-7) car la fonction d’enseignant est une lourde responsabilité (1 Tm 4.6, Jc 3.1) : il en va même du salut de ses auditeurs (1 Tm 4.16) ! Si donc le Saint-Esprit vient « illuminer » notre intelligence pour nous permettre de comprendre l’Écriture (2 Co 3.13-18), il le fait aussi à travers certains de ses serviteurs, comme Paul et Timothée qui se désignent eux-mêmes « ministres d’une nouvelle alliance » (2 Co 3.1-6).
Notre Dieu a donc souhaité que l’illumination de l’Écriture du Saint-Esprit ne se fasse pas uniquement en ligne directe, de manière individuelle, mais au sein de l’Église, par l’échange avec ceux qui ont le même Saint-Esprit, et plus spécifiquement par le biais d’enseignants qui ont été équipés par le Saint-Esprit pour ce service.
Cela signifie que, si lors de notre méditation personnelle de la Bible, le Saint-Esprit peut parfois nous éclairer sur le sens d’un passage ou sur ce qu’il signifie pour notre vie, il est nécessaire de discerner si cette interprétation que nous pensons inspirée l’est réellement. Un des meilleurs critères pour ce discernement, c’est de se demander comment les autres croyants, inspirés par le même Esprit, ont interprété le texte biblique avant moi. Et pour cela, il convient de consulter en particulier ceux que Dieu a équipés par son Esprit et mis à part pour le ministère d’enseignant de sa Parole. Autrement dit, si l’interprétation que je pense inspirée n’a jamais été retenue, ou a été largement rejetée par les meilleurs commentateurs chrétiens depuis 2000 ans ; je peux avoir de gros doutes sur l’inspiration de mon interprétation ! A moins que je ne pense que tous les croyants aient mal compris le texte depuis 2000 ans, et que je me considère plus inspiré qu’eux…
[1] Jean Calvin, Institution de la religion chrétienne, traduit par Marie de Védrines et Paul Wells, Aix-en-Provence/Charols : Kerygma/Excelsis, 2009, p. 43