Les premiers missionnaires protestants à Madagascar : des formateurs évangéliques

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[Article d’abord publié en septembre 2019 sur le blog mada-minard. Rapatrié en août 2022 sur le présent site.]

En faisant quelques lectures sur les origines du protestantisme malgache (voir ce post), j’ai été surpris d’apprendre que les premiers missionnaires protestants étaient des… évangéliques. De plus, leur mission fut principalement axée autour de l’éducation et de la formation biblique. Un héritage à cultiver… 

Les premiers missionnaires protestants à Madagascar… des évangéliques

Les premiers contacts (connus) du christianisme avec Madagascar remontent aux XVIe et XVIIe siècles, au travers de marchands catholiques et de quelques jésuites. Néanmoins, ce n’est qu’au XIXe siècle que le christianisme s’est réellement développé sur la grande île.

Illustration tirée de l’ouvrage de Huyghues-Belrose

Côté protestant, ce sont les missionnaires envoyés par la London Missionary Society (LMS) qui furent les premiers à débarquer en 1818. La LMS est alors une société missionnaire non-dénominationnelle  dont les membres sont issus de la diversité protestante britannique (congrégationalistes, presbytériens, anglicans de tendance évangélique). Les premiers envoyés à Madagascar sont issus des églises congrégationalistes galloises. Malgré des débuts difficiles puis une période de persécution sévère (1832-1861), les églises issues de l’évangélisation de la LMS ont connu une forte croissance au point de former la plus grande dénomination protestante à Madagascar. En 1968, ces églises se sont unies à celles liées à la Mission de Paris (actuel Défap) et aux églises de la Société des amis (Quakers) pour former la FJKM (Fiangonan’i Jesoa Kristy eto Madagasikara = Eglise de Jésus-Christ à Madagascar) qui compte actuellement au moins 4 à 5 millions de fidèles (sur 25 millions d’habitants).

La FJKM est actuellement rattachée à la mouvance Réformée (elle est membre de la Communion mondiale des Eglises réformées). Il me semble toutefois intéressant de rappeler que les premiers missionnaires protestants à Madagascar avaient des liens certains avec la mouvance évangélique.

  • D’un point de vue historique, l’influence des « evangelicals » britanniques sur la création de la LMS est assez nette ( voir Huyghues-Belrose, p. 98-100).
  • Le principal organe de presse qui diffusait les nouvelles des missionnaires de la LMS en Grande-Bretagne était l’Evangelical Magazine.
  • Les missionnaires de la LMS adhéraient sans aucun doute aux « quatre points » souvent présentés comme caractéristiques des évangéliques : biblicisme, insistance sur la conversion, importance du témoignage et crucicentrisme (centralité de la croix).
  • Enfin, un des principes fondamentaux de la LMS était que ses missionnaires devaient renoncer à imposer une forme de gouvernement d’église (et de baptême) et laisser « aux esprits des personnes d’entre les païens que Dieu pourrait appeler à la communion de son Fils, le soin d’adopter telle forme de gouvernement de l’Eglise qui leur paraîtrait la plus conforme à la Parole de Dieu » (cité par Huyghues-Belrose, p. 108). Ce caractère secondaire donné à l’ecclésiologie est aussi un aspect souvent observable chez les évangéliques. 

C’est du fait de ce dernier principe que les églises protestantes malgaches issues de l’évangélisation de missionnaires congrégationalistes ont fini par adopter un fonctionnement présbytérien synodal (avec une forte autorité donnée au pasteur).

À Madagascar, il n’est pas rare que les églises évangéliques soient présentées comme des « sectes », en opposition aux églises dites « historiques » (Catholiques, FJKM, Luthériens). Il me parait utile de rappeler que « l’évangélisme » n’est pas une nouveauté dans l’histoire du christianisme malgache, bien au contraire !

Les premiers missionnaires protestants à Madagascar… des formateurs

Après quelques tentatives difficiles sur la côte Est, dans la région de Tamatave (1818-1819), les missionnaires de la LMS s’installent à Tananarive dès 1820.  Ils sont officiellement accueillis par le roi Radama Ier. Ce roi de l’ethnie Merina (dont Tananarive est la capitale) est connu pour avoir soumis une grande partie des autres ethnies de l’île afin de faire de Madagascar un seul pays. Du fait de ses contacts avec les représentants du Royaume britannique installés dans la région (notamment à Maurice), le roi est quelque peu admiratif de cette autre grande nation insulaire. C’est dans ce cadre que Radama invite les missionnaires de la LMS à Tananarive en leur demandant de développer l’éducation au sein de son royaume. Ceux-ci acceptent… en échange d’un engagement du roi à abolir l’esclavage !

Dès leur arrivée, les missionnaires vont fonder une école dans l’enceinte du palais royal et leurs premiers élèves seront des membres de la cour et de la famille royale. Parmi les diverses matières enseignées, les missionnaires leur apprennent à lire et à écrire en malgache et en anglais. Le texte biblique occupe une grande place dans l’apprentissage.

Très vite un noyau de douze étudiantes et étudiants va être constitué. Ce groupe des « douze » a marqué les mémoires pour son rôle d’assistance dans la traduction de la Bible en langue malgache (une « Bible » monumentale leur est dédiée dans l’enceinte du palais de la reine à Tananarive : voir la photo en tête d’article). La traduction de la Bible est en effet une priorité pour les missionnaires protestants. Ainsi, avant leur départ, les envoyés étaient  formés pendant plusieurs années à la linguistique, la pédagogie, mais aussi à l’hébreu, au grec et au latin (il semble même qu’ils profitaient du long voyage en bateau pour réviser leur hébreu). À leur arrivée, il fallait apprendre la langue et toutes ses subtilités. Puis travailler à transformer la langue, essentiellement orale, en une langue écrite : ainsi, les missionnaires sont à l’origine de la forme écrite qui est devenue la forme standard du malgache officiel (avec quelques évolutions au fil du temps). Il fallait ensuite traduire toute la Bible (depuis les langues originales) dans la langue du peuple. Pour cela, ils bénéficièrent donc de l’aide de leurs étudiants les plus avancés, auxquels ils avaient notamment enseigné le grec. Ce travail colossal fut achevé en à peine 15 ans, puisqu’en 1835 toute la Bible avait été traduite en malgache

Les missionnaires ne se contentent pas de former des élites au « collège missionnaire royal ». Selon les principes de la méthode Lancaster (ou monitorial system), les élèves les plus avancés sont utilisés pour enseigner les nouveaux. Cela permet de développer rapidement de nombreuses écoles : 7 ans après leur arrivée, il y avait déjà 30 écoles et plus de 2000 élèves à Madagascar (alors que les professeurs missionnaires n’étaient que deux au début et qu’ils ne voulaient pas des classes de plus d’une douzaine d’élèves !). Ainsi, les envoyés de la LMS ont joué un rôle pionnier décisif dans le développement des écoles à Madagascar.

Illustration tirée de l’ouvrage de Huyghues-Belrose

Une approche qui porte du fruit… sur le long terme

On pourrait s’interroger sur le fait que des missionnaires ayant pour objectif premier l’évangélisation aient concentré tant d’effort sur l’éducation et la formation. Comme le montre Vincent Huyghues-Belrose dans son étude de référence (voir plus bas), les missionnaires ne virent quasiment aucune conversion durant les premières années à Tananarive. La plupart de ceux qu’ils avaient formé connaissaient très bien la Bible. Ils avaient été éduqués aux principes de la morale chrétienne, ils connaissaient le catéchisme et chantaient de nombreux cantiques. Mais très peu d’entre eux se convertirent et demandèrent le baptême.  

Était-ce pour autant un échec ? La suite de l’histoire montre que cette approche porta, au contraire, un fruit durable. À partir de 1831, on assiste brusquement à un mouvement de conversion : les baptêmes s’enchaînent, des fiangonana (églises) se  mettent en place. Face à un tel mouvement, la reine Ranavalona Ière (qui a succédé à Radama Ier en 1828) prend des mesures dissuasive sévères dès 1832 allant jusqu’à la mise à mort de convertis au christianisme. Face à la persécution grandissante, les missionnaires anglais quittent le pays en 1835-1836, non sans laisser un héritage précieux : la Bible complète en malgache, imprimée en 1835. Paradoxalement, c’est en l’absence des missionnaires et pendant trois décennies de persécution sévère que le protestantisme malgache va se développer fortement.

Si une telle croissance a pu s’observer dans une période si compliquée, c’est, au moins en partie, grâce au travail d’éducation et de formation effectué par les premiers missionnaires.  En œuvrant à l’alphabétisation, en formant les futurs leaders, en traduisant et faisant imprimer la Bible (et de nombreux tracts chrétiens), ils ont permis aux persécutés d’être enracinés dans la Parole de Dieu. Lorsque les racines sont profondes, l’arbre résiste mieux aux vents contraires.

Un héritage à cultiver

Ce pan important de l’histoire du christianisme à Madagascar n’a pas manqué de m’interpeller. Probablement parce que nous pouvons nous identifier un peu à ces premiers missionnaires : mon épouse et moi sommes envoyés pour travailler dans le domaine de l’éducation et de la formation théologique. De plus, en ce qui me concerne, j’enseigne principalement dans une faculté évangélique non-dénominationnelle. Certes, deux cents ans plus tard, le contexte est très différent. Toutefois, l’histoire montre que le développement de l’éducation et de la formation biblique est un bien précieux pour la santé de l’Église

Au sein des églises évangéliques (à Madagascar comme en France), on regarde souvent l’éducation comme un objectif secondaire, voire annexe, par rapport à l’évangélisation. Quant à la formation biblique et théologique, on la considère avec grande méfiance. A quoi bon apprendre l’hébreu et le grec bibliques si l’on a le Saint-Esprit pour nous faire comprendre la Bible ? 

J’espère que le rappel de ce moment d’histoire illustre bien l’utilité de tout cela. L’éducation n’est pas seulement un enjeu crucial pour le développement d’un pays, mais aussi pour la bonne santé spirituelle des croyants. La formation théologique au plus haut niveau ne sert pas juste à donner des « connaissances » aux leaders de l’Église : elle permet à ces leaders de l’enraciner dans la Parole de Dieu, afin que les croyants ne soient pas « ballottés par tout vent de doctrine » (Ephésiens 4.14).

Pour aller plus loin

Le présent article a été principalement inspiré par ma lecture de l’ouvrage de Vincent Huyghues-Belrose, Les premiers missionnaires protestants à Madagascar (1795-1827), Paris, Karthala / Inalco, 2001. Une enquête un peu technique mais passionnante sur les prémices de la mission protestante à Madagascar et l’arrivée des premiers missionnaires de la London Missionary Society en 1818.

4 Responses

  1. Sophie

    Bonjour, merci pour votre article. Je fais actuellement des recherches sur l’histoire de la traduction de la Bible en langue malgache, pensez-vous que ce livre pourrait être une source de renseignements? Je me suis penchée sur le livre Bible et Pouvoir de FR Jourde, bien qu’intéressant d’un point vue historique, il aborde beaucoup plus la question de pouvoir que de Bible…c’est pourquoi je me permets de vous demander votre avis afin de m’éviter des dépenses inutiles. Bien à vous. Sophie

    • Timothée Minard

      Bonjour,
      Merci pour votre message. L’ouvrage de Vincent Huyghues-Belrose évoque le travail de traduction entrepris par les premiers missionnaires protestants. Mais ce sujet n’est évoqué que courtement dans le livre (surtout p. 345 à 350). De plus, le livre ne traite que la période antérieure à 1827, alors que la traduction de la Bible s’est achevée en 1835.
      Sur la traduction de la Bible en malgache, je vous signale les deux articles suivants :
      – Noël Gueunier, « Les traductions de la Bible et l’évolution du malgache contemporain » (accessible ici : https://journals.openedition.org/assr/21385 )
      – Solo Raharinjanahary et Noël J. Gueunier, « Plantes de la Bible en malgache et plantes « bibliques » dans la culture malgache » (accessible ici : https://journals.openedition.org/oceanindien/881 )

  2. robert

    Bonjour, je sais déjà depuis longtemps que les Quakers Amis….parfois connus sous d’autres noms également, étaient présents à Madagascar depuis le XIX ème siècle. Pourriez-vous s’il vous plait me dire si leurs assemblées locales ont disparu dissoutes dans d’autres Eglises/dénominations, ou si ces même Quakers continuent-il leur existence indépendamment de leur côté? Ma question est un peu en rapport avec le fait que ces chrétiens ne font pas usage des sacrements/ordonnances comme le baptême et de la Sainte-Cène. En vous remerciant d’avance;

    • Timothée Minard

      Bonjour,
      Effectivement, les Quakers sont présents historiquement à Madagascar. Je n’ai pas connaissance de leurs activités actuelles. Je sais seulement que, lors de la création de la FJKM (Eglise de Jésus-Christ à Madagascar), une très grande dénomination protestante à Madagascar, les Quakers ont fait partie des membres fondateurs. Je ne sais pas si certaines paroisses conservent une couleur « Quakers » au sein des FJKM.