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Sommaire de la série
- La prophétie chrétienne d’après le Nouveau Testament (Introduction)
- 1°) Prophétie et Saint-Esprit : l’inspiration
- 2°) Le rôle du prophète : transmettre la prophétie
- 3°) Accueillir la prophétie dans l’Église : discernement et autorité de la prophétie
Introduction
Un sujet important dans le cadre du Nouveau Testament
On ne peut pas parler de la prophétie chrétienne sans mentionner l’évènement qui a donné naissance à l’Église : la venue du Saint-Esprit lors de la Pentecôte. En Actes 2, l’Esprit de Dieu vient habiter parmi son peuple. Face à la foule qui accourt interloquée, l’apôtre Pierre prend la parole et explique ce qui est en train de se produire :
« 16 Mais c’est ici ce qui a été dit par le prophète Joël :
17 Dans les derniers jours, dit Dieu, je répandrai de mon Esprit sur toute chair : vos fils et vos filles prophétiseront, vos jeunes gens auront des visions, et vos vieillards auront des songes. 18Oui, sur mes serviteurs et sur mes servantes, dans ces jours–là, je répandrai de mon Esprit ; et ils prophétiseront. » (Ac 2.16-18)
La manière dont Actes 2 cite Joël 3 l’exprime clairement : la conséquence première de la venue du Saint-Esprit est de faire de l’Eglise un peuple composé de gens qui ont des visions, des rêves et surtout, qui « prophétisent ». À la Pentecôte, Dieu vient demeurer parmi son peuple d’une manière toute particulière. Et à cause de cette transformation interne du peuple de Dieu en découle une conséquence externe visible de tous : le peuple de Dieu devient un peuple-prophète. Comme j’ai tenté de le démontrer dans ma thèse de doctorat, Actes 2 n’est pas le seul texte qui témoigne de la conviction des premiers chrétiens d’expérimenter au sein de l’Église naissante une forme de « généralisation » de la prophétie. Cette idée se retrouve vraisemblablement en arrière-plan de 1 Corinthiens 12 à 14, de plusieurs passages de l’Apocalypse (surtout Ap 11.3-13; 22.9), mais peut-être aussi de textes de l’Évangile de Matthieu au sujet des prophètes (Mt 7.22-23; 10.41; 23.34).
Au-delà de cette dimension qui est liée à la nature même de l’Église, corps du Christ habité par le Saint-Esprit, les textes du Nouveau Testament montrent que la prophétie a toute sa place dans la vie de l’Église locale. Le livre des Actes mentionne à plusieurs reprises la présence de prophètes ou de personnes qui « prophétisent » au sein de l’Église primitive (Ac 11.27-28; 13.1; 15.32; 19.6; 21.9, 10-11). Les lettres de Paul incluent systématiquement les prophètes dans les listes de charismes ou de fonctions (Rm 12.6 ; 1 Co 12.10, 28-29 ; Ep 4.11). Nous avons même conservé dans le Nouveau Testament un écrit tout entier qui se présente explicitement comme un livre prophétique : l’Apocalypse (cf. Ap 1.3; 22.7,9-10,18-19).
1 Corinthiens 14 est l’enseignement le plus long et détaillé du Nouveau Testament concernant le déroulement et le contenu du culte chrétien communautaire. Or Paul y donne une place importante à la prophétie, introduisant et concluant son propos par une exhortation adressée à tous ses lecteurs : « désirez prophétiser ! » (1 Co 14.1, 39).
Tout chrétien qui veut réfléchir sérieusement sur l’ecclésiologie ou la pneumatologie biblique ne peut passer à côté de cet aspect exprimé dans l’Écriture : premièrement, l’Église est présentée comme un peuple-prophète inspiré par le Saint-Esprit et, deuxièmement, la pratique de la prophétie doit avoir une place de choix au sein des rencontres de l’église locale.
Un sujet important pour aujourd’hui ? La question du cessationisme
Malgré cela, pour certains chrétiens, la pratique de la vraie prophétie, comme des autres dons miraculeux, n’est plus d’actualité. Si elle était importante à l’époque des apôtres, elle a pris fin une fois que le Nouveau Testament a fini d’être établi et le canon biblique clôturé. On donne généralement à cette doctrine le nom de « cessationisme ».
Les cessationistes s’appuient globalement sur des arguments de trois types : historiques, bibliques et théologiques.
Arguments historiques
Sur le plan historique, ils constatent la quasi-disparition de la prophétie une fois passé l’âge apostolique et le canon clôturé. Ils en déduisent que Dieu a utilisé les prophètes de l’Église primitive pour révéler toute la portée de « l’évènement » Jésus-Christ. Puis, une fois que cette révélation a été fixée dans les écrits du Nouveau Testament, les prophètes sont devenus inutiles.
D’un point de vue historique, cette affirmation est discutable. En effet, la disparition des prophètes dans l’Eglise ne date pas de la fin des temps apostoliques : la prophétie est encore bien présente et encouragée à la fin du 2ème siècle, chez Irénée de Lyon par exemple (voir ici). Ce n’est qu’à partir du 3ème siècle que la mention d’une prophétie chrétienne contemporaine disparait progressivement des sources. De plus, l’histoire de l’Église est ponctuée de relents prophétiques occasionnels. On pourra discuter par exemple du phénomène assez bien documenté des prophètes camisards, dans le Cévennes, à la fin du 17e s. – début du 18e s (voir ici). De façon moins spectaculaire, de nombreux croyants, au fil des siècles, ont témoigné que le Seigneur leur avait révélé un message, une parole, une vision, voire une prédiction (Vern Poythress cite quelques exemples intéressants à la fin d’un excellent article). À toute époque, il s’est trouvé des hommes et des femmes inspirés par le Saint-Esprit pour transmettre un encouragement, une exhortation ou une parole de sagesse : s’ils n’ont pas toujours désigné cela comme étant de la « prophétie », il me semble que certains auteurs du Nouveau Testament n’auraient pas eu de souci à appeler cela « prophétie » (nous verrons cela par la suite). Enfin, la place majeure du pentecôtisme et du renouveau charismatique dans le christianisme mondial actuel ne peut laisser l’historien indifférent : la prophétie est pratiquée dans une proportion de plus en plus importante de l’Église.
Arguments bibliques
Quoi qu’il en soit de ces exemples, pour le chrétien (protestant), l’histoire de l’Église n’est pas ce qui définit la norme. C’est l’Ecriture seule qui est notre norme. Quels sont donc les arguments bibliques avancés par les cessationistes ?
Traditionnellement, ils se sont appuyés sur 1 Corinthiens 13.8-10 :
« 8L’amour ne périt jamais. Les prophéties seront abolies, les langues cesseront, la connaissance sera abolie. 9Car nous connaissons en partie, et nous prophétisons en partie, 10mais quand ce qui est parfait sera venu, ce qui est partiel sera aboli. »
Le temps de la « perfection » ou de « l’accomplissement » a été compris comme se référant à la clôture du canon biblique. Toutefois, les exégètes contemporains s’accordent pour dire que le temps de la perfection à venir est ici celui de la réalité finale, celle de la nouvelle création (pour une réfutation de l’exégèse cessationiste de ce passage, voir, par exemple, Wayne GRUDEM, Théologie systématique, p. 1142-1150). C’est alors, comme le dit le verset 12, que « nous verrons [Dieu] face à face ». Ainsi, d’après ce texte, la prophétie ne doit cesser qu’à la fin des temps, ce qui sous-entend qu’elle est toujours d’actualité !
Cela s’accorde avec la citation de Joël 3 en Actes 2 : le déversement de l’Esprit de prophétie est caractéristique des « derniers jours » (Ac 2.17). La mort, la résurrection et l’ascension de Jésus-Christ à la « droite de Dieu » (Ac 2.29-33) ouvrent une nouvelle ère : l’œuvre du Christ lui donne l’autorité pour « déverser le Saint-Esprit » sur son peuple (Ac 2.33). Ce même schéma (mort-résurrection-ascension-envoi de « dons » dont la prophétie) est encore exprimé en Éphésiens 4.7-16. La prophétie est un élément caractéristique de la période située entre les deux venues du Christ et, jusqu’à preuve du contraire, c’est dans ce temps que nous vivons encore.
Arguments théologiques
Les arguments les plus solides sont de l’ordre de la doctrine. En effet, la pratique de la prophétie peut paraître problématique dans le cadre de la doctrine classique de l’Écriture. Si, comme nous l’affirmons en tant qu’évangéliques, l’Écriture est la Parole de Dieu parfaite, sans erreur et suffisante, pourquoi aurait-on besoin encore de prophètes ? Si la révélation est close, pourquoi Dieu transmettrait-il encore des messages par la prophétie ?
Une telle conception peut s’appuyer notamment sur Éphésiens 2.20 : « Vous avez été édifiés sur le fondement des apôtres et prophètes ». Les prophètes, aux côtés des apôtres, ont joué un rôle fondamental dans le développement de l’Église : par leur enseignement, ils ont posé les fondements en transmettant « la révélation du mystère de Christ » (Ep 3.3-5). Ce fondement nous est transmis par les écrits du Nouveau Testament. Par conséquent, les cessationistes affirment : si les prophètes ont un rôle de « fondement », une fois le fondement posé, ils n’ont plus lieu d’être.
On pourrait discuter de l’exégèse d’un tel texte. Quoi qu’il en soit, ce n’est pas parce que certains prophètes auraient joué un rôle de fondements dans l’histoire de l’Église que d’autres prophètes ne pourraient pas jouer un autre rôle par la suite ! Lorsque Paul encourage tous les chrétiens de Corinthe à « désirer prophétiser » (1 Co 14.1; 14.31; 14.39), ce n’est certainement pas parce qu’il pense qu’ils vont ainsi poser le « fondement ». Au chapitre 3 de la même épître, Paul indique qu’il a déjà posé le « fondement » à Corinthe en tant qu’apôtre, et que ceux qui viennent après lui ne font que poursuivre la construction (1 Co 3.10). Ainsi, Paul valorise la prophétie en 1 Corinthiens 14 à cause de sa contribution à la « construction » de l’Église (1 Co 14.3-5,12). Il s’agit là de la construction « continuée » de l’Église qui se poursuit « jusqu’à ce que nous soyons tous parvenus à l’unité de la foi et de la connaissance du Fils de Dieu, à l’état de l’homme adulte, à la mesure de la stature parfaite du Christ » (Ep 4.12-13).
Conclusion
Même s’il fallait retenir l’un ou l’autre argument des cessationistes, ces arguments ne font pas le poids face aux textes bibliques cités au point précédent : la dimension prophétique de l’Église est une affirmation claire du Nouveau Testament, et la pratique de la prophétie est chaudement encouragée par Paul. Face à ces textes, la cessation de la prophétie parait difficilement défendable.
Plusieurs théologiens évangéliques comme Wayne Grudem (voir Théologie Systématique, p. 1153-1155) ou Vern Poythress (voir ici) ont très justement fait remarquer qu’il y a plus de proximité entre le point de vue cessationiste et le point de vue charismatique (évangélique) qu’il n’y paraît à première vue. Ainsi, par exemple, la plupart des cessationistes reconnaissent la possibilité que le Saint-Esprit vienne « illuminer » le croyant dans sa compréhension et son application des Écritures. Cette illumination, en fin de compte, n’est pas très éloignée de ce que les charismatiques appellent « prophétie ». Les critiques reposent souvent sur une caricature de la position adverse. Même si le désaccord est réel, une discussion apaisée permet souvent de réaliser qu’il n’est pas si profond et qu’il n’y a certainement pas lieu de se jeter des « anathèmes ».
Essai de définition
La question qui est au cœur du débat actuel est plutôt celle de la définition de la prophétie chrétienne. Qu’est-ce que la prophétie chrétienne d’après la Bible ? Comment peut-elle ou doit-elle être pratiquée ?
C’est cette question qui sera au cœur de la suite de cette série. Étant donné le format « blog », je n’ai pas la prétention de présenter ici le phénomène prophétique biblique dans son ensemble et sa complexité. Je vais m’intéresser essentiellement à la prophétie chrétienne, c’est-à-dire la prophétie dont la Bible encourage la pratique. Ce qui m’intéresse ici, ce n’est pas de savoir comment la prophétie était pratiquée dans l’Israël ancien, ni même dans l’Église primitive, mais comment la Bible considère et encourage la pratique de la prophétie dans l’Église.
Pour cette raison, je vais surtout considérer les données du Nouveau Testament.
La complexité des données bibliques
Proposer une définition « biblique » de la prophétie chrétienne n’est pas chose aisée. En effet, si le vocabulaire prophétique (les mots de la famille de profètès) est fréquemment utilisé dans le Nouveau Testament, il est loin de l’être pour décrire un phénomène uniforme.
Un même auteur, celui de l’Évangile de Luc et du livre des Actes, peut ainsi utiliser la terminologie prophétique pour désigner des messages à la forme et au contenu variés. Chez Zacharie ou Anne, la prophétie prend la forme d’un psaume autour de la naissance d’un enfant (Lc 1.67-79; 2.38). Jean-Baptiste apparait plutôt comme porteur d’un message de conversion (Lc 3.1-18). Jésus est certes appelé prophète en raison de son message, dans la lignée d’Ésaïe 61 (Lc 4.18-27). Cependant, il est aussi nommé ainsi à cause des miracles qu’il produit à la manière des prophètes du passé (Lc 7.16; 9.8; 9.19). Dans le récit de la Pentecôte, les louanges en langues étrangères (Ac 2.4-11) sont ensuite identifiées, par l’intermédiaire de la citation de Joël 3, à une forme de prophétie (Ac 2.16-18). Ce rapprochement entre parler en langues et prophétie se retrouve à Éphèse en Actes 19.6. Lorsqu’elle est pratiquée par Agabus, la prophétie prend la forme d’une prédiction générale (Ac 11.28) ou d’une courte prédiction concernant un individu, accompagnée d’un geste symbolique (Ac 21.10-11). Enfin, en Actes 15.32, les longs discours de Jude et Silas semblent être identifiés à une forme de prophétie.
Autre difficulté, la prophétie semble à la fois un phénomène généralisé – tous les croyants réunis se mettent à prophétiser (Pentecôte : Ac 2.16-18 ; Éphèse : Ac 19.6) – et un phénomène de « spécialistes » – seuls certains parmi un ensemble de croyants sont prophètes (Ac 11.27-28 [un groupe de prophètes, dont Agabus] ; Ac 13.1 [les prophètes de l’Église d’Antioche] ; Ac 15.32 [Jude et Silas] ; Ac 21.9 [les 4 filles de Philippe] ; Ac 21.10 [Agabus]).
Si de telles disparités transparaissent au sein des textes d’un seul auteur, elles sont encore amplifiées lorsque l’on considère les données de l’ensemble du Nouveau Testament, sans parler des données de l’Ancien Testament !
Proposition de définition
Afin de donner une définition de la prophétie assez large pour satisfaire l’ensemble des données bibliques, j’ai proposé la définition de travail suivante (j’ai défendu cette définition dans cet article) :
La prophétie chrétienne est l’acte de transmettre, sous la forme d’un message intelligible, une révélation inspirée par l’Esprit du Dieu de Jésus-Christ.
Le prophète est donc avant tout, le « porte-parole » du Seigneur, celui que Dieu inspire pour transmettre de sa part un message à ses contemporains.
La prophétie : une communication en 3 étapes
Dans la suite de la série, je vais essayer de préciser un peu les choses. Pour cela, je propose en général de situer trois étapes dans la communication prophétique qui sont :
- L’inspiration de la prophétie : comment Dieu s’y prend-t-il pour transmettre la prophétie à celui qu’il inspire ?
- La transmission du message prophétique : comment l’inspiré est-il appelé à communiquer la prophétie à ses destinataires ? J’aborderai notamment la question de la fonction de la prophétie, de la forme et du contenu du message,
- La réception de la prophétie par l’Église : comment les croyants doivent-ils accueillir la parole prophétique ? C’est la question du discernement et de l’autorité de la prophétie
Chacune de ces 3 étapes sera traitée au fur et à mesure de la suite de cette série…. [à suivre !]
Pasteur Bernard IRRMANN
Travail en profondeur.
Laurent Descos
Comment ça, « à suivre » ?
Mais c’est que c’est super frustrant, ça 😉
Merci pour ce bel article. J’attends les suivants avec impatience.
Timothée Minard
Merci Laurent pour les encouragements ! C’est le principe d’une série… on fidélise les lecteurs en les faisant patienter 🙂 ! A moins que tu sois adepte du « binge-reading » 😉
stephane Lauzet
Merci ! Stimulant…Moi aussi j’ai hâte de lire la suite.
EngSeng Q.
C’est vraiment plus qu’intéressant, on attend la suite de la série avec impatience! Je me plongerai fort bien – à l’occasion – à ta thèse sur le prophétisme aujourd’hui, arrivant presqu’à terme si j’ai bien suivi ^^.
claire poujol
Rien que l’intro, quel travail ! Bravo.