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La prophétie est avant tout un discours inspiré par le Saint-Esprit
La première caractéristique de la prophétie chrétienne, c’est son inspiration. Le bibliste américain David Aune est un des meilleurs spécialistes de l’histoire de la prophétie chrétienne des premiers siècles. Après avoir longuement étudié la forme et le contenu des prophéties chrétiennes des premiers siècles, il conclut que, dans ce cadre, « l’élément distinctif du discours prophétique n’est pas tant son contenu ou sa forme, mais son origine surnaturelle » (Prophecy in Early Christianity, p. 338). Autrement dit, ce qui fait qu’un discours est prophétique, c’est avant tout qu’il est un discours inspiré.
Sur cette question, les auteurs néotestamentaires héritent du judaïsme de leur temps qui identifie volontiers l’Esprit de Dieu à « l’Esprit de prophétie ». C’est donc naturellement qu’Actes 2.16-18 associe l’évènement de la Pentecôte à un renouveau prophétique et comprend l’annonce de Joël 3 comme se réalisant au sein de l’Église primitive. Les divers écrits du Nouveau Testament témoignent d’un accord unanime sur ce point : le prophète est bien celui qui parle sous l’inspiration de l’Esprit de Dieu (Lc 1.67; Ac 11.28; 19.6; 21.11; 28.25; 1 Co 12.10; Ep 3.5; 1 Th 5.19-20; 2 P 1.21; 1 Jn 4.1-2; Ap 2.7, etc.).
Comment le Saint-Esprit s’y prend-t-il pour inspirer la prophétie ?
C’est bien beau de dire que la prophétie se produit « par l’opération du Saint-Esprit », mais est-il possible de préciser un peu les choses ? Est-ce que la Bible dit quelque chose sur la manière dont le Saint-Esprit s’y prend pour inspirer la prophétie ?
Le lieu de l’inspiration est généralement l’être intérieur du croyant
Les récits de révélations prophétiques du début de l’Évangile de Luc, des Actes, ainsi que les lettres de Paul, laissent à penser qu’en général, le lieu de l’inspiration est vraisemblablement l’être intérieur du croyant. Les « révélations » externes et spectaculaires – telles qu’une vision directe, une voix venue du ciel ou une apparition angélique – sont rarement associées à la prophétie dans le Nouveau Testament.
Toutefois, le livre de l’Apocalypse, qui se présent comme une « prophétie » (Ap 1.3; 22.10, 18, 19), forme une exception majeure à cette règle, au vu des nombreuses visions directes ou apparitions angéliques qu’il présente. Cela montre que l’on ne peut être trop tranché sur la manière dont la prophétie est transmise au prophète.
L’enseignement de Paul en 1 Corinthiens 12 à 14
C’est l’enseignement de Paul en 1 Corinthiens 12 à 14 qui est le plus fourni sur le sujet. Celui-ci penche en faveur d’un phénomène plutôt discret.
L’apôtre Paul a une conception de l’être humain comme étant composé d’un « corps » et d’un « esprit » (grec : pneuma), l’esprit étant ici à comprendre comme désignant l’être intérieur. En 1 Corinthiens 2, Paul explique que par leur union au Saint-Esprit, les esprits des croyants sont renouvelés et rendus capables de connaître la « pensée du Christ » (1 Co 2.12-16). Le Saint-Esprit est présenté par Paul comme transformant l’intelligence même du croyant, afin de lui permettre notamment de croire. C’est un point important à souligner : Paul n’oppose pas Saint-Esprit et raison. À l’inverse, sa conception anthropologique suggère plutôt l’idée que nous sommes appelés à faire collaborer notre raison, notre intelligence, avec le Saint-Esprit.
En 1 Corinthiens 14.32, Paul dit que « les esprits des prophètes sont soumis aux prophètes ». Selon l’avis de l’exégète Gordon Fee, spécialiste de la pneumatologie paulinienne, l’expression « esprits des prophètes » désigne ici l’esprit renouvelé du croyant, intimement lié au Saint-Esprit (The First Epistle to the Corinthians, p. 666, 696). L’esprit humain du prophète est donc le lieu de l’inspiration par le Saint-Esprit. Cela suggère un phénomène d’inspiration relativement discret : puisque, en tant que chrétiens, nous avons le Saint-Esprit qui vit en nous, que celui-ci vient renouveler notre pensée et notre vision du monde, alors, il paraît logique qu’il puisse aussi inspirer nos paroles.
Pour Paul, l’inspiration prophétique du croyant n’est (généralement) pas un processus invasif. L’Esprit de Dieu ne « tombe » pas sur le prophète inspiré comme il pouvait le faire au temps de Saül (1 S 10.10). Au contraire, c’est de son être intérieur uni au Saint-Esprit que semble surgir l’inspiration. Il est possible que Paul s’oppose ici à certaines conceptions de son époque qui valorisent l’état extatique du prophète. Pour Philon d’Alexandrie, un Juif hellénistique contemporain de Paul, l’inspiration prophétique provoque parfois le départ de l’intelligence remplacée par l’esprit divin. Ainsi, Philon peut-il déclarer :
« Ceci se produit souvent pour ceux de la race prophétique : l’intellect qui est en nous est expulsé lors de l’arrivée de l’Esprit divin, et il est réintégré lorsqu’il repart. Car il n’est pas permis que le mortel cohabite avec l’immortel. » (Quis rerum divinarum heres 265 ; voir aussi De specialibus legibus 1.65 ; 4.49)
Pour Paul, au contraire, le Saint-Esprit interagit avec l’esprit du prophète, c’est-à-dire avec son être intérieur (1 Co 14.32). Ainsi, en 1 Corinthiens 14, Paul distingue le parler en langues de la prophétie par le fait que la prophétie nécessite la mise en œuvre de l’intelligence du prophète (1 Co 14.14-19). Le prophète n’est pas un simple canal passif dans la mise en œuvre de la prophétie. Il est maître de lui-même, conscient de son environnement, peut « se taire » et laisser la parole à un autre (1 Co 14.29-33). Il doit même mettre en œuvre son intelligence pour rendre la prophétie intelligible (1 Co 14.14-19).
Il semble donc que ce soit la manière la plus fréquente dont le Saint-Esprit s’y prend pour inspirer la prophétie. Toutefois, une prise en compte de l’ensemble des données bibliques ne permet pas d’en faire une règle absolue. L’Esprit de Dieu est libre d’agir comme il le veut, et la Bible témoigne aussi de cas où l’Esprit de Dieu semble inspirer des hommes et des femmes de manière plus violente et invasive. Toutefois, l’enseignement de Paul suggère que ces cas sont plutôt des exceptions et non la norme.
Pour aller plus loin, voir mon article « L’inspiration de la prophétie dans l’Église : les données de la 1ère aux Corinthiens ».
Le croyant peut-il susciter l’inspiration prophétique ?
Nous nous sommes placés pour le moment du point de vue du Saint-Esprit. Mais on pourrait aussi se placer du point de vue du croyant : peut-on susciter l’inspiration prophétique ?
Plusieurs spécialistes ont souligné la « spontanéité » de la révélation prophétique. Il est vrai que les données du Nouveau Testament suggèrent que le prophète n’est pas maître de l’inspiration prophétique. La prophétie ne semble pas décidée par le prophète ou donnée en réponse à une question. Elle est une initiative libre et souveraine de l’Esprit de Dieu.
Toutefois, le théologien évangélique Henri Blocher remarque bien que la notion de « spontanéité » s’accorde difficilement avec la pneumatologie du Nouveau Testament. En effet, en insistant sur la spontanéité de l’action de Dieu, on risque de la présenter comme « rivale de l’action de l’homme » (voir « La place de la prophétie dans la pneumatologie », Hokhma n°72 (1999), p. 96-97). Or, en ce qui concerne la prophétie, la révélation divine n’est pas imposée au prophète. Au contraire, comme on vient de le voir, « les e/Esprits des prophètes sont soumis aux prophètes » (1 Co 14.31). Le prophète reste maître de lui-même, pouvant autoriser ou stopper l’inspiration.
1 Corinthiens 14 présente la prophétie comme s’exerçant dans le cadre d’une rencontre d’Église, ce qui suggère un contexte au sein duquel le prophète est disposé à se laisser inspirer. De même, dans les Actes, c’est lors de rassemblement de croyants que des prophéties sont partagées (Ac 11.27-28; 13.1-2; 15.32; 21.10-11). Ainsi, on peut dire que si le croyant ne peut pas maîtriser l’inspiration prophétique, celle-ci a généralement lieu lorsque que le croyant fixe ses regards sur Dieu, et non pas lorsqu’il fait ses courses ou regarde la télé.
1 Thessaloniciens 5.19-20 exprime la possibilité « d’éteindre l’Esprit », notamment en « méprisant les prophéties ». Ces données montrent bien que la révélation prophétique n’est pas strictement « spontanée ». Même si elle est une initiative divine, elle ne va pas contre la volonté du prophète. Il y a bien une forme d’interaction entre Esprit divin et esprit du prophète.
Autrement dit, si nous ne pouvons pas décider d’être inspiré ou pas, nous sommes invités à montrer une ouverture à l’inspiration. Il nous est possible « d’éteindre l’Esprit » en refusant toute possibilité de le laisser nous inspirer.
Le degré de perception de la révélation
Un autre élément nécessite une remarque : il s’agit de la question du degré de perception de la révélation. Si l’inspiration prophétique est un phénomène généralement « discret », 1 Corinthiens 13.8-12 suggère que la révélation prophétique est également « imparfaite ». Le verset 9 indique que « nous prophétisons en partie » (v. 9). La première partie du verset 12 ajoute : « à présent, nous voyons dans un miroir, en énigme, mais alors, ce sera face à face ». Suivant l’avis de bons commentateurs, il me semble que ce verset 12 évoque le caractère imparfait de la révélation prophétique (notamment par une allusion probable à Nombres 12.6-8). Le prophète « voit comme dans un miroir, en énigme ».
Nous pouvons en déduire que, d’une part, le prophète voit ce qui lui est révélé de manière indirecte et incomplète, comme « par le biais d’un miroir ». La révélation est différente de celle de Moïse qui parlait directement avec Dieu (Nb 12.8; Dt 34.10). Elle est indirecte, et passe par le biais d’un « miroir ». D’autre part, le fait que ce qui est vu, le soit « en énigme », montre la difficulté à comprendre ce qui est vu. Certains auteurs suggèrent que c’est à cause de cette imperfection de la révélation prophétique que Paul encourage « l’évaluation » de toute prophétie (1 Co 14.29).