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Certains messages et certains chants contemporains soulignent la puissance du « nom » de Jésus. On indique que ce « nom » est puissant car c’est « par lui » que les « chaînes sont brisées », que « les démons sont chassés » ou que les « malades sont guéris ». Certes, la Bible affirme clairement que les envoyés du Christ peuvent faire tout cela « en son nom ». Mais, peut-on en déduire qu’il y a de la « puissance » dans le « nom » du Seigneur ?
L’importance et l’usage du « nom » dans la Bible
Ceux qui soulignent la puissance du nom de Jésus partent généralement d’une observation exacte : dans le contexte biblique, le « nom » de quelqu’un a bien plus d’importance que dans le contexte occidental actuel. Dans le monde de la Bible, le « nom » n’est pas juste une étiquette bien pratique qui permet d’identifier une personne. Il est lié à l’identité profonde de la personne. Ce qui explique, par exemple, que le Seigneur tienne à changer le nom Jacob en « Israël » (Gn 32.28) ou de Simon en « Pierre » (Mc 3.16) ; ces noms ayant quelque chose à dire de la vocation d’Israël ou de Pierre (cf. Mt 16.18). De la même manière, l’Ancien Testament souligne le lien entre l’identité et le nom de Dieu/YHWH – « celui qui est » (Ex 3.14) ; de même que le Nouveau Testament concernant Jésus – « le Seigneur sauve » (Mt 1.21). Ainsi, dans le contexte biblique, il y a souvent un lien très fort entre le « nom » et la « personne ».
Par extension, il arrive souvent que le mot « nom » (shem en hébreu) soit une manière de se référer non pas au nom d’une personne, mais à la personne elle-même. C’est le cas, en particulier, des textes hébreux qui se réfèrent au « nom du SEIGNEUR (YHWH) ». Par exemple, « louer le nom du SEIGNEUR » ou « bénir le nom du SEIGNEUR » (Ps 113.1-3) signifie « louer le SEIGNEUR » ou « bénir le SEIGNEUR ». « Invoquer le nom du SEIGNEUR (YHWH) », signifie prier le Dieu qui s’appelle YHWH (Gn 4.26 ; 16.13).
La « puissance du nom du Seigneur »
Par conséquent, du fait de cet usage, ne serait-il pas juste de souligner « la puissance » du « nom » du Seigneur ? Il me semble qu’une telle déduction n’est pas judicieuse : non seulement une telle formulation peut prêter à confusion en français, mais elle ne correspond pas à l’enseignement biblique.
Le français n’est pas de l’hébreu
Tout d’abord, ce qui pourrait avoir un certain sens en grec et en hébreu, n’a pas le même sens en français (ou en anglais). Dans notre langue, dire que « le nom de Jésus est puissant » ne signifie pas « Jésus est puissant ». Personne – en dehors de certains milieux chrétiens – ne fait un tel usage du « nom ». Lorsque je veux honorer une personne je ne dis pas que j’aimerais « honorer son nom ». Aucun français ne souhaite le bonheur de quelqu’un en lui disant : « béni soit ton nom ». Par conséquent, il n’est pas forcément judicieux d’utiliser la transposition d’une formulation hébraïque (ou grecque) dans un chant destiné à être chanté par tous les croyants (y compris ceux qui n’ont pas forcément connaissance de ces subtilités de langage).
Il existe néanmoins quelques expressions utilisées en français qui se rapprochent de l’usage biblique (et qui pourraient donc être utilisées par les auteurs francophones). C’est le cas, notamment, de la formule « au nom de » : lorsqu’un représentant du gouvernement s’adresse « au nom » du président, il s’adresse « de sa part », en tant que son représentant. Les termes « renommée » ou « nomination » ont aussi un sens qui se rapproche de la terminologie biblique.
Aucun passage biblique ne souligne la « puissance » du « nom » de Jésus
Au-delà du langage, il convient de souligner que la Bible ne fait pas de lien direct entre la « puissance » et l’utilisation du « nom » de Dieu ou de Jésus. À ma connaissance, il n’existe aucun verset biblique qui affirme qu’il y a « une puissance dans le nom de Jésus ».
Le seul passage qui pourrait éventuellement être invoqué se trouve en Actes 3-4, en rapport à la guérison du paralytique par Pierre et Jean. Ceux-ci indiquent que ce n’est pas par « leur propre puissance » qu’ils ont guéri le paralytique (Ac 3.12) mais « par la foi du nom » de Jésus (Ac 3.16). De même, lorsque les membres du Sanhédrin leur demandent « par quelle puissance ou par quel nom » ils ont guéri le malade (Ac 4.7), Pierre répond « c’est par le nom de Jésus-Christ » (Ac 4.10). Pierre serait-il en train de souligner la « puissance » du « nom » de Jésus ? Si l’on lit ces textes dans leur contexte, on constatera que Pierre n’attire pas l’attention sur le « nom » de Jésus mais sur Jésus lui-même : la mention du « nom » de Jésus est accompagnée, dans les deux cas, d’une présentation précise de qui est Jésus (Ac 3.13-15 ; 4.10-11) puis d’un résumé du message du salut (Ac 3.17-26 ; 4.12). Ainsi, dans ce contexte, il est évident que la référence à la puissance du nom de Jésus est une manière de désigner la puissance de la personne de Jésus.
De façon générale, on peut que constater que, dans la Bible, la « puissance » est une caractéristique personnelle : c’est Dieu qui est le « Tout-puissant », c’est le Saint-Esprit qui est une « puissance », c’est Jésus qui vient « avec puissance ». Il est d’ailleurs étonnant que, alors que divers versets indiquent que le nom de Dieu (ou de Jésus) est « grand », « magnifique » ou « glorieux », on se garde généralement de dire que son nom est « puissant ».
Le risque d’une utilisation magique du « nom » de Jésus
Cette dernière observation s’explique peut-être par le fait que les auteurs bibliques sont conscients du risque d’une utilisation magique du « nom » de Dieu ou de Jésus. Dans le monde de la Bible – comme dans de nombreuses cultures – il est courant d’inclure le nom de divinités (ou d’esprits) dans les formules magiques. En effet, ceux qui pratiquent la magie considèrent qu’il y a une « puissance » dans le fait de prononcer le « nom » de ces divinités. Et que la simple formulation de ces noms a une efficacité en soi.
Le livre des Actes souligne à plusieurs reprises la différence entre les « signes et prodiges » chrétiens et les pratiques magiques (voir Ac 8.9-25 ; 13.4-12 ; 14.8-20). En Actes 19.13-17, face aux nombreuses guérisons et délivrances réalisées par l’intermédiaire de Paul, des exorcistes Juifs décident d’avoir recours à la même « formule magique ». Ceux-ci « entreprennent de nommer le nom du Seigneur Jésus sur ceux qui ont des esprits mauvais » (Ac 19.13). La suite du récit montre que leur entreprise n’a guère de succès. Certains se font même violemment malmenés par une personne ayant un mauvais esprit après que celui-ci leur ait dit : « je connais Jésus et je sais qui est Paul, mais vous qui êtes-vous donc ? » (Ac 19.15).
Le risque d’utiliser le « nom » de Jésus comme une formule magique n’est pas réservé à l’époque des apôtres. Le recours à la sorcellerie et à des « formules » occultes est encore courant dans de nombreux pays du monde. Dans ce contexte, mettre en avant la « puissance » du « nom » de Jésus risque de générer une certaine confusion.
La « puissance » ne réside pas dans le « nom » de Jésus mais dans le fait que l’on agisse « en son nom »
Si le croyant peut faire quelque chose « au nom de Jésus », ce n’est pas parce qu’il y aurait une quelconque puissance dans le « nom » de Jésus. Mais c’est parce qu’il a été envoyé par Jésus pour agir en son nom. Bien plus, du fait qu’il est au bénéfice de l’œuvre de Jésus-Christ, le croyant est « en Christ » et l’Esprit du Dieu tout-puissant a fait sa demeure en lui. Il a donc la légitimité de demander et prier « au nom de Jésus », c’est-à-dire en tant que son représentant. La « puissance » réside non pas dans le « nom » de Jésus, mais en Jésus lui-même. Ainsi, en Actes 9, Pierre n’a pas besoin de prononcer la formule « au nom de Jésus » pour que Tabitha ressuscite (Ac 9.40), tout comme il peut dire au paralysé : « Énée, Jésus te guérit » (Ac 9.34).
Cela ne signifie pas pour autant que, parce qu’il est « en Christ », le croyant pourrait demander n’importe quoi « au nom de Jésus ». Un émissaire ne peut faire « au nom » de celui qui l’envoie que ce qui est conforme à la volonté de ce dernier. Comme le dit Jésus en rapport à ceux qui prétendent faire des miracles ou prophétiser « en son nom » : « Ce n’est pas tous ceux qui disent « Seigneur, Seigneur » qui entreront dans le royaume des cieux, mais ce sont ceux qui font la volonté de mon père qui est dans les cieux » (Mt 7.21-23). Autrement dit, celui qui prétend faire « au nom » de quelqu’un ce qui n’est pas conforme à sa volonté est un imposteur.
Sur la question des miracles, voir cette série d’articles Signes, prodiges et miracles dans le Nouveau Testament.
Matthieu Giralt
Excellent, merci!