En faisant du tri dans ma bibliothèque, mon attention s’est portée sur un de ces (nombreux) livres que je n’avais pas encore eu le temps de lire… Publié en 1931, Le prophétisme du réveil est un ouvrage comprenant le texte de « six études présentées à la VIIIe convention de Dieulefit (1930) ».
Alors que le mouvement pentecôtiste débarque en France sous l’impulsion, notamment, du Britannique Douglas Scott, le « Réveil de la Drôme » bat son plein au sein des Églises réformées de cette région. Portée par un groupe de pasteurs-évangélistes auquel on donne le nom de « Brigade de la Drôme », ce mouvement plaide notamment pour un renouveau du prophétisme avec un accent particulier sur la conversion et la sanctification. C’est donc dans ce cadre qu’est organisée une « convention » toute entière centrée sur la question du prophétisme et dont l’ouvrage Le prophétisme du réveil nous a transmis le contenu.
À vrai dire, avant de découvrir cet ouvrage, je n’avais aucune idée de ce qu’il contenait et n’avait même jamais entendu parler du « Réveil de la Drôme ». Si, d’un point de vue théologique, les études qu’il contient n’ont rien d’exceptionnel, j’ai trouvé sa lecture à la fois stimulante et surprenante. Certes, je ne partage pas toutes les conclusions de ses auteurs et le ton est parfois un peu trop rude à mon goût. Néanmoins, leurs réflexions méritent d’être redécouvertes. Je me suis donc dit qu’il pourrait être utile d’en faire profiter d’autres. Sur les 6 études que contient le livre, j’en ai retenu deux en particulier, la première et la dernière. Je les ai scannées et vous laisse ci-dessous à la fois les liens vers les fichiers PDF, ainsi que quelques morceaux choisis.
Pour en savoir plus sur le « Réveil de la Drôme », vous pouvez consulter cette présentation rédigée par un des pasteurs de la « Brigade de la Drôme », Édouard Champendal. Le sociologue et historien Sébastien Fath a écrit un article fort intéressant comparant le Réveil de la Drôme au Pentecôtisme français des années 1930, deux mouvements contemporains aux aspirations assez proches et qui, pourtant, ne se sont guère appréciés.
[Pour en savoir plus sur le prophétisme chrétien, voir la série « La prophétie chrétienne d’après le Nouveau Testament« .]
Le prophétisme dans la Bible (Édouard Champendal)
La première contribution de l’ouvrage a pour objectif de proposer un survol du prophétisme biblique. Plus que le dossier biblique, ce sont les exhortations de celui qui le commente que je soulignerai. Voici comment débute l’article (et l’ensemble du livre) :
« Notre époque manque de prophètes !
Elle n’est pas dépourvue de chrétiens fidèles dont l’ambition sincère est de glorifier Dieu par leur vie et leur témoignage ; elle possède des serviteurs consacrés ·accomplissant avec zèle et humilité un ministère souvent obscur ; les apôtres eux-mêmes, à lire nos journaux religieux, ne sont pas rares, si l’on entend par ce mot un homme qui se donne tout entier à une tâche spirituelle qui l’empoigne.
On parle même de créer des évêques et les titulaires seraient faciles à trouver.
Mais ce qui manque, ce sont des prophètes ! C’est-à-dire, des hommes et des femmes ayant accepté de livrer leur vie· sans réticence à Dieu parce qu’ils ont été contraints d’En-Haut par la vision de Sa gloire et des âmes qui se perdent ; des hommes et des femmes que Dieu a pris au mot et qu’Il a jetés sur les routes du monde et de l’Eglise pour proclamer à la face de tous Ses exigences saintes ; des hommes et des femmes dont le message inspiré s’impose aux foules comme aux maîtres de l’heure et qui, tout en vivant dans le présent, plongent leurs regards dans le passé pour en tirer les leçons salutaires, et vers l’avenir pour voir par avance l’accomplissement des décrets divins. » (p. 5-6)
Abordant la question des « manifestations prophétiques de l’Eglise apostolique« , l’auteur déplore le peu d’études sur le sujet : « Nous avons été étonné de découvrir que ce sujet n’avait pas suscité un gros intérêt jusqu’à ce jour. » (p. 28). 80 ans plus tard, c’est le même constat qui m’a poussé à faire une thèse autour de ces questions !
S’interrogeant sur la disparition progressive des prophètes chrétiens, l’auteur propose sa propre interprétation :
« Nous avons été curieux de rechercher les causes de cette défection. Quelles sont-elles ? Affaiblissement graduel de la ferveur première ? C’est possible. La marche vers l’épiscopat dans une Eglise qui s’organisait solidement dans le monde ? Peut-être. Disparition des premiers chrétiens et des apôtres ? Il est une raison qui prime toutes les autres : l’Eglise a oublié son premier amour. « Je suis assise en reine, je ne suis point veuve, et je ne verrai point de deuil », s’est-elle écriée (Apoc. XVIII, 7).
Tant que l’Eglise a été la communauté chrétienne où l’on se séparait, le soir, au cri de « Maranatha » ; tant qu’elle a attendu avec ferveur le retour de son Chef, il y a eu des prophètes. Dès que cette attente a cessé, le prophétisme a dégénéré, puis a cessé.
Pourquoi s’en étonner ? Le prophète juge des événements présents du point de vue de l’éternité ; il prophétise parce qu’il a une vision de l’avenir. Supprimez cette vision : l’Eglise n’a plus besoin de prophètes, elle s’installe solidement sur la terre, l’évêque lui est désormais nécessaire. » (p. 33)
Et le pasteur de conclure :
« Des canons et des munitions ! Tel est le mot qu’on cherchait à imposer dans les esprits pendant les années terribles de 1917 et 1918. C’était alors une question de vie et de mort !
Des prophètes ! Il nous faut des prophètes ! Tel est le cri qui retentira au cours de cette convention chrétienne.
Des prophètes ! Il nous faut des prophètes, comme Abraham et Moïse, pour redonner au monde qui court à l’abîme la notion exacte de Dieu et de ses exigences.
Des prophètes ! Il nous faut des prophètes, comme Esaïe, Jérémie, Ezéchiel, Arnos ou Osée, ne craignant pas, s’il le faut, de détruire, d’abattre, d’arracher et de ruiner, mais plantant aussi et gravant dans les esprits les grandes vérités éternelles.
Des prophètes ! Il nous faut des prophètes, comme Barnabas et ceux dont nous ignorons les noms, parcourant les Eglises et disant à leurs fidèles tout ce que Dieu pense de son peuple.
Ils se lèveront les prophètes, suscités par l’Esprit capable d’opérer les transformations les plus sublimes et les consécrations les plus profondes. » (p. 34)
Lire le texte complet de la contribution d'Édouard Champendal (scan PDF)
L’eschatologie des prophètes (Maurice Lador)
Comme pour le texte précédent, c’est davantage les exhortations de l’auteur que son analyse biblique qui ont retenu mon attention. Dans la dernière partie de sa contribution, Maurice Lador dénonce la manière dont « on est parvenu à caricaturer ou nier le prophétisme » :
« L’ennemi est rusé. Veut-il discréditer une doctrine qui le gêne : ou bien il la calomnie – comme il le fait pour l’incarnation ou pour l’expiation –, ou bien il la ridiculise. Et c’est ce qu’il a fait pour l’espérance de l’Eglise.
Il l’a tellement ridiculisée que, peu à peu, on a changé d’espérance et qu’on a relégué dans l’ombre les visions des prophètes. Cela n’a pas été très difficile au Malin : il suffisait d’écarter les croyants soit de l’Ecole de la Parole de Dieu, soit de l’Ecole du Saint-Esprit, soit de ces deux Ecoles à la fois.
Et c’est ainsi qu’on est parvenu à caricaturer ou nier le prophétisme. » (p. 229)
Il dénonce d’abord ceux qui ont « supprimé » le prophétisme et qui disent : « Certes, nous croyons en Dieu mais nous ne voyons pas pourquoi il interviendrait sans cesse dans le monde alors qu’il a créé un ensemble de lois naturelles qui sont parfaites. » (p. 229).
Il dénonce ceux qui ont « remplacé » le prophétisme par un biblicisme excessif :
« Tandis que le modernisme prétend conserver l’Esprit, et mettre de côté l’Ecriture Sainte, nous rencontrons des frères dont l’attitude est toute différente : haïssant l’hérésie, ils s’attachent à la Bible, ils sont parfaitement instruits, fidèles à la lettre, à la formule, à la doctrine, mais ils semblent ignorer que la Bible est « comme un livre fermé » (Es. XXIX, 11-12 ), tant que l’Esprit n’est pas là pour éclairer notre entendement.
Oui, nous pouvons croire que Dieu a parlé mais cela ne nous sert de rien tant que sa Parole écrite n’a pas été illuminée par un rayon d’En-Haut.
Et si nous restons sur cette position d’adhésion, d’affection purement intellectuelle, sentimentale à l’égard de la vérité, si nous tombons dans le dogmatisme – de droite ou de gauche – ah ! prenons garde : sa flamme impure empêchera la flamme prophétique de s’épanouir en nous et nous l’éteindrons chez les autres.
Et que de fois ils ont mené l’Eglise aux abîmes, les dogmaticiens de tous les bords qui avaient remplacé le prophétisme par leur ardeur intellectuelle, intellectualiste ! » (p. 230)
Un peu plus loin, Maurice Lador évoque le « prophétisme parodié » : il vise ici le Pentecôtisme…
« Lorsque l’on se place sur le terrain mouvant de ses expériences personnelles, lorsque l’on recherche les sensations du mysticisme, l’on arrive à posséder une conception très particulière de l’œuvre de l’Esprit-Saint en nous : l’on désire un baptême de puissance qui vous secoue, vous fait frissonner, vous rend capable de faire des miracles, de convertir beaucoup d’âmes par une parole de feu… Et si ce baptême ne vient pas, inconsciemment on le provoque et précisément par l’attente ardente qu’on en a.
L’on a parlé du Pentecôtisme… mais il y a un enthousiasme religieux qui, parfois, ne vaut pas mieux.
« Les esprits des prophètes sont soumis aux prophètes » (1 Cor. XIV, 32).
La première marque de la réalité du travail du Saint-Esprit, n’est-ce pas précisément l’ordre, la discipline, le calme, la maîtrise de soi ?
Que Dieu nous garde dans la vérité spirituelle, dans le vrai, dans l’équilibre ! » (p. 232)
La contribution du pasteur Lador (et l’ouvrage dans son ensemble) se conclut sur cette grandiose interpellation :
« Aspirez aux dons spirituels, dit saint Paul, mais surtout à celui de prophétie » (1 Cor. XIV, 1). « Je désire que tous… vous prophétisiez ! » (v. 5).
Qu’est-ce à dire ? Allons-nous lui demander de faire de nous des prophètes, des hommes puissants en œuvre et en parole, dans la prière et dans le témoignage…
« Et toi. rechercherais-tu de grandes choses ? dit Jérémie à Baruc. Ne les recherche pas… » (Jérémie XLV, 5). Ne recherche pas la puissance, ni l’originalité, ni rien qui puisse te faire remarquer…
« Aspire au don de prophétie… », oui, mais « recherchez la charité », dit auparavant l’apôtre ; recherchez l’amour, l’obéissance, la consécration véritables.
Dieu ne vous demande pas d’être puissants. Il sait que vous n’êtes que faiblesse. Il vous demande de lui obéir.
Il ne réclame de vous autre chose que ce que vous pouvez lui donner : non du positif, mais du négatif. Vous ne pouvez lui apporter que votre misère, que votre Moi qui doit être crucifié.
Les prophètes ont commencé leur service de Dieu dans l’humiliation, dans l’abandon de leurs projets personnels, de leurs goûts, de leurs désirs, en répondant oui à l’appel de Dieu.
Le retour au prophétisme ?… Le Réveil du prophétisme ?…
C’est le retour à la Croix, c’est le pèlerinage au Calvaire, c’est la tente dressée sur cette sainte montagne pour y demeurer toujours, c’est l’écrasement aux pieds du Sauveur, c’est le cœur ouvert au travail purificateur de sa grâce, c’est l’union dans sa mort, la communion de ses souffrances, la participation à sa résurrection, c’est l’appel au travail, qui retentit, la contrainte au travail, le « malheur à moi si je n’évangélise… ».
Le retour au prophétisme, c’est Christ prenant possession de nous, réalisant prophétiquement en nous l’eschatologie des prophètes, Christ en nous l’espérance de la gloire. « Ce n’est plus moi qui vis, c’est Christ qui vit en moi… J’ai été saisi par J.-C. ».
Mes frères, puisse-t-il en être ainsi pour chacun de nous ! » (p. 233-234)
Lire le texte complet de la contribution de Maurice Lador (scan PDF)