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Retour sur un voyage d’enseignement en février 2015
En février 2015, j’ai eu l’occasion de dispenser 60H de cours à l’Institut Supérieur de Théologie Evangélique (ISTE), à Tananarive. Certains se demandent peut-être l’intérêt de développer une formation théologique à Madagascar (ou ailleurs) : dans un pays ravagé par la misère, où les besoins les plus vitaux sont criants, n’y a-t-il pas d’autres priorités à avoir ? De plus, on pourrait se demander s’il est bien utile de développer une formation de niveau universitaire lorsque 75% de la population n’est même pas allée au Collège[1] ?
Pourtant, en tant que chrétien d’un pays riche, il me semble primordial d’encourager et soutenir la formation théologique universitaire à Madagascar. Non seulement parce que cela fait partie de mon domaine de compétence, mais aussi parce que cela me semble important pour un sain développement de l’Eglise malgache, voire même pour le développement du pays.
Former des formateurs
Une lettre du Nouveau Testament m’inspire cette réflexion : il s’agit de la deuxième épître à Timothée. En 2 Timothée 2.2, Paul donne ce conseil à son disciple : « Ce que tu m’as entendu annoncer en présence de nombreux témoins, confie-le à des hommes de confiance, qui seront eux-mêmes capables de l’enseigner encore à d’autres. » Autrement dit, Paul encourage Timothée non seulement à enseigner, mais à former des formateurs.
L’Institut Supérieur de Théologie Evangélique (ISTE) est une petite faculté de théologie qui fête cette année ses dix années d’existence. Lors de mon séjour, j’ai donné des cours à 9 élèves : 5 élèves de Licence 1 et 2, et 4 élèves de Licence 3 et Master 1. On pourrait se dire que cela constitue un bien petit effectif. Il faut toutefois préciser que seuls 6% des jeunes malgaches atteignent le niveau bac[2] et que, dans ce contexte, il n’est guère envisageable d’exiger une formation universitaire pour les pasteurs. Par conséquent, l’ISTE ne forme pas seulement des pasteurs, il forme surtout des formateurs. Plusieurs des élèves ayant terminé leur cursus à l’ISTE enseignent désormais dans des centres de formation pour les pasteurs et responsables de leur union d’Eglise. Ainsi, un étudiant formé à l’ISTE pourra transmettre l’enseignement reçu à des dizaines de pasteurs ou responsables qu’il formera durant les années à venir ; et cet enseignement sera ensuite au bénéfice des églises dont ces pasteurs ont la charge. Former un étudiant à l’ISTE, c’est améliorer la qualité de l’enseignement biblique pour des milliers de chrétiens à Madagascar.
L’importance d’un enseignement de qualité
En 2 Timothée 2.3-5, Paul compare les exigences du ministère à celles de la vie d’un soldat ou d’un athlète de haut niveau. A plusieurs reprises, il invite son disciple à enseigner de manière précise, en étant « persuasif », « en faisant preuve de patience » et en « sachant répondre aux contradicteurs » (2 Tm 2.24-25 ; 2 Tm 4.2). Bref, Paul encourage Timothée à l’excellence dans son enseignement.
L’ISTE vise à l’excellence dans l’enseignement biblique et théologique. La formation est de niveau universitaire. Elle se veut exigeante, notamment au niveau de l’apprentissage de l’hébreu ou du grec biblique, indispensables pour une étude en profondeur du texte biblique. De plus, les responsables de l’Institut résistent à une tendance qui consiste à rechercher avant tout les titres ou les diplômes. A l’ISTE, seuls les efforts et le travail des étudiants sont valorisés : les professeurs sont choisis d’après leurs compétences réelles, et non d’après leurs diplômes ou leurs titres ; la taille du porte-monnaie des étudiants ou le prestige de leur famille n’entre pas en compte. Cela peut vous sembler naturel dans le contexte européen ; ce n’est malheureusement pas toujours le cas dans le contexte africain où l’on aime se faire appeler « docteur », « bishop » ou je ne sais quoi.
Faire face aux défis de l’Eglise…
Si Paul encourage Timothée à développer un enseignement de qualité, c’est avant tout parce que l’Eglise de son temps fait face à divers défis. A plusieurs reprises, l’apôtre dénonce les enseignants superficiels, peu recommandables, amis de l’argent ou qui « disent que la résurrection a déjà eu lieu » (2 Tm 2.14-18 ; 2 Tm 3.1-8 ; 2 Tm 4.3-4). « Car le temps viendra où les gens ne voudront plus écouter le véritable enseignement, mais ils suivront leurs propres désirs et s’entoureront d’une foule de maîtres qui leur diront ce qu’ils aiment entendre. » (2 Tm 4.3).
Un des grands défis auquel fait face l’Eglise africaine, c’est l’Evangile de la prospérité : cette dérive prend une ampleur considérable dans de nombreux pays, y compris Madagascar. Malheureusement, dans ces mouvements, ce n’est bien souvent que le pasteur qui s’enrichit.
L’Eglise malgache fait également face au défi du syncrétisme avec la religion traditionnelle : le « retournement des morts » reste un événement social important dans certaines régions de l’île. Parmi d’autres défis, mentionnons enfin le positionnement face à la corruption, omniprésente dans tous les domaines de la société.
De manière générale, les défis de l’Eglise malgache sont bien différents de ceux de notre société occidentale sécularisée. Le religieux est omniprésent à Madagascar, la société est moins individualiste, et l’échelle des valeurs est différente de la nôtre. Dans ce contexte, une réflexion chrétienne spécifique et de qualité n’est pas sans intérêt pour l’ensemble de la société malgache.
… grâce à un enseignement basé sur l’Ecriture et centré sur le Christ
Face aux défis de son temps, Paul encourage Timothée à « équiper l’homme de Dieu pour qu’il pratique le bien » (2 Tm 3.17). Pour cela, il lui recommande de fonder son enseignement sur « toute l’Ecriture, inspirée de Dieu et utile pour enseigner la vérité, réfuter l’erreur, corriger les fautes et former à une juste manière de vivre » (2 Tm 3.16).
Des lieux comme l’ISTE sont indispensables pour fournir une formation solidement fondée sur « toute l’Ecriture ».
De même, face aux pseudo-enseignants qui se plaisent à faire de grands discours (2 Tm 3.6-7), Paul invite Timothée à « éviter les disputes de mots » (2 Tm 2.14-16) et à centrer son enseignement sur l’essentiel : la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ (2 Tm 2.8-14).
A l’ISTE, l’œuvre et la personne de Jésus-Christ sont au centre de l’enseignement qui est dispensé. Il ne s’agit pas juste de former des universitaires, mais bien des enseignants qui ont une foi et une relation personnelle avec Christ. La dimension spirituelle fait totalement partie de l’enseignement académique dispensé : la prière ou la louange ne sont pas dissociés de l’enseignement théologique.
La formation théologique : un combat !
Si Paul encourage Timothée dans son ministère d’enseignant, il ne lui cache pas non plus les difficultés. Lorsqu’il écrit cette lettre, Paul est en prison : il a combattu le bon combat et est arrivé au terme de sa course (2 Tm 4.7). Il invite Timothée à « prendre sa part de souffrances, comme un fidèle soldat de Jésus-Christ » (2 Tm 2.3) ou lui rappelle que la persécution est le lot de la vie du croyant (2 Tm 3.12). [Nota : On est bien loin de l’Evangile de la prospérité !]
Je suis personnellement admiratif face à la consécration et la motivation des étudiants et professeurs malgaches de l’ISTE. Dans un contexte de grande précarité, les familles ne comprennent pas toujours qu’un étudiant doué choisisse de se former à la théologie, plutôt que de se lancer dans une carrière bien plus prometteuse financièrement. Beaucoup d’étudiants font un réel effort financier pour consacrer 4 ans de leur vie à se former.
Ces derniers mois, Madagascar a vécu une des pires saisons des pluies de son histoire : chaque jour de mon séjour, les informations indiquaient le nombre de morts de la veille suite aux inondations, aux glissements de terrain ou aux maisons qui s’écroulent sur leurs habitants. Le dernier jour où j’enseignais à l’ISTE, toutes les écoles de la ville furent fermées par décision de l’Etat, suite aux terribles pluies de la nuit. Mais ce jour-là, à l’ISTE, les étudiants étaient tous là dès 8H du matin. Malgré les routes coupées par les eaux et les transports compliqués. L’un d’entre eux avait dû retrousser son pantalon pour franchir une zone inondée. Un des professeurs était quant à lui arrivé plus tard dans la matinée : sa maison, située dans les « bas quartiers », avait été inondée pendant la nuit, et il lui avait fallu attendre que le niveau de « boue » soit suffisamment redescendu pour qu’il puisse traverser son salon et sortir de chez lui.
Voilà la réalité de la formation théologique évangélique à Madagascar : ceux qui empruntent cette voie ne choisissent pas le chemin de la facilité ou de la prospérité (financière). Faire le choix d’un enseignement biblique de qualité, c’est accepter des conditions de vie proches de celui du soldat ou de l’athlète de haut niveau !
Conclusion : encourager la formation théologique à Madagascar (et ailleurs)
A chacun de mes séjours à Madagascar, je réalise le privilège que j’ai d’être né dans un pays riche, et de pouvoir étudier la théologie dans de belles facultés avec leurs immenses bibliothèques. Je réalise aussi combien notre richesse matérielle est disproportionnée par rapport à leur pauvreté.
Nous avons les moyens pour encourager la formation théologique à Madagascar, en Afrique ou ailleurs. Un étudiant malgache a besoin d’environ 110 € par mois pour vivre et financer ses études. L’ISTE a besoin d’environ 1500 € par mois pour fonctionner. En comparaison au budget de nos facultés de théologie, ce sont des sommes ridicules. Pourtant, une école comme l’ISTE a bien du mal à boucler son budget. De même, nombreux sont ceux qui renoncent à se former à l’ISTE parce qu’ils ne peuvent pas assumer financièrement 4 années d’études sans salaire.
L’inégalité matérielle entre nos pays riches et des pays comme Madagascar se traduit également en une inégalité quant à la formation théologique. Cela a des répercussions sur la qualité de l’enseignement biblique dans les églises. N’est-ce pas de notre responsabilité de participer à réduire cette inégalité (2 Co 8.14) ?
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[1] D’après ce rapport daté de 2007, seul 27% des 11-14 ans sont scolarisés.
[2] D’après le document ci-dessus.