Sommaire de l'article
Sommaire de la série
- Introduction
- 1°) Différents types de logiciel
- 2°) Présentation générale des logiciels
- 3°) a) Quel logiciel biblique pour la critique textuelle de l’Ancien Testament ?
- 3°) b) Quel logiciel biblique pour la critique textuelle du Nouveau Testament ?
- 4°) Lecture du texte dans son contexte immédiat
- 5°) Traduction
- 6°) Philologie
- 7°) Intertextualité
- 8°) Littérature secondaire et autres outils
- 9°) Bons plans
- Synthèse : quel logiciel pour l’exégèse biblique ?
a) Des « super concordances »
Imaginons que l’on souhaite pousser un peu plus loin l’étude d’un mot ou d’une expression et faire un peu de philologie. Rappelons que c’est la fonction première d’un logiciel biblique ! A leurs débuts, Accordance ou Bibleworks étaient avant tout des « super concordances » électroniques.
Les quatre logiciels permettront de faire des recherches de mots ou de combinaison de mots dans les textes hébreu ou grec de la Bible. Pour les requêtes les plus complexes, Accordance et Bibleworks donnent accès à des modules de recherche graphique facilitant la visualisation des requêtes. Sur Logos, le moteur de recherche graphique ne s’applique qu’aux recherches de type syntaxique
En ce qui concerne la simplicité d’usage, Accordance est au-dessus de ses concurrents : à l’inverse de Bibleworks ou Logos, le logiciel est particulièrement intuitif et l’apprentissage des codes, raccourcis ou symboles est bien plus rapide.
Bible Parser permet aussi d’effectuer des recherches, que ce soit par un simple clic droit sur un mot du texte, via la barre de recherche ou via le module « Request Builder » qui facilite la formulation de requêtes relativement complexes.
Logos est de loin celui qui propose les bases de données les plus élaborées. Les éditeurs ont codé un nombre impressionnant d’informations en arrière-plan du texte biblique, ce qui ouvre des potentialités immenses pour la recherche. On regrettera toutefois que la mise en œuvre de recherches élaborées relève parfois du parcours du combattant. D’une part, il faut jongler entre différents types de recherche avec, pour chaque type, des limites différentes. D’autre part, la manière de formuler les requêtes varie entre chaque type de recherche et on se perd facilement entre ce qu’il faut formuler en français, en anglais, en grec ou en hébreu. Enfin, on regrettera une rubrique d’aide détaillée à la manière de Bibleworks, qui permettrait de s’en sortir plus facilement (nous avons néanmoins publié un guide détaillé à ce sujet, téléchargeable sur cette page).
Les logiciels permettent de visualiser les résultats des recherches sous forme de graphique. Accordance est particulièrement puissant sur ce point : les possibilités de paramétrages sont très nombreuses. Le logiciel permet même de superposer plusieurs graphiques de résultat, ce qui peut s’avérer utile pour comparer les résultats de plusieurs recherches. Depuis la version 12 il est possible d’afficher des graphiques analytiques pour les recherches effectuées au sein de plusieurs textes d’une même langue. Cette fonction est très pratique pour comparer l’utilisation d’un ou plusieurs mots selon le corpus (par exemple, pour le grec, entre la Septante et le Nouveau Testament ; ou pour l’hébreu, entre la Bible hébraïque et les manuscrits non-bibliques de la mer Morte).
b) Recherches sémantiques
La recherche linguistique a montré que l’étude d’une forme lexicale a ses limites. En effet, pour exprimer une idée, un auteur emploie généralement plusieurs mots d’un même champ sémantique, mais qui ne sont pas toujours de la même famille lexicale. Inversement, un même mot peut avoir divers sens et désigner différentes réalités. Ainsi, une recherche basée sur la forme lexicale d’un mot ne suffira pas pour étudier la manière dont un auteur biblique aborde une thématique donnée.
Accordance permet de faire des recherches par « sujet (topic) ». Il est difficile de savoir sur quoi se fonde la liste des versets proposés pour chaque thème, personnage ou lieu. Toutefois, même si ces listes ne sont pas exhaustives, elles sont relativement bien fournies.
La recherche par « thème » est surtout utile lorsque le vocabulaire biblique employé pour parler d’un thème est particulièrement varié. C’est le cas par exemple du thème de la « mort » : le Nouveau Testament emploie divers termes grecs de racines différentes pour parler de la mort. Une recherche lexicale sur cette thématique s’avère donc complexe, alors qu’une recherche par « topic » permet de défricher le terrain.
On aura intérêt à combiner une recherche par « topic » à une recherche lexicale. Cela permet d’aboutir à des résultats plus ciblés et d’obtenir rapidement une liste de versets importants sur un sujet donné.
Bible Parser et Bibleworks fournissent sur ce point une fonction utile : ils autorisent la recherche au sein du texte grec à partir des domaines sémantiques élaborés par Louw & Nida et présentés au sein de leur Greek-English Lexicon of the New Testament: Based on Semantic Domains[1]. Ainsi, il est aisé de rechercher tous les mots d’une même famille sémantique. Notons toutefois que la recherche ne tient pas compte de la polysémie d’un mot, et que les résultats contiennent donc des versets dans lesquels un mot donné est employé dans un sens différent
Par exemple, si l’on fait une recherche des mots du domaine sémantique 3.33-46 correspondant à ce que Louw & Nida appellent « Fruit Parts of Plants », la recherche inclura le mot σπέρμα. Or ce mot ne désigne pas toujours la semence d’une plante, il peut aussi désigner la descendance d’un individu, ce qui correspond chez Louw & Nida à un autre domaine sémantique. Une recherche du domaine sémantique 3.33-46 avec Bibleworks inclura tous les emplois de σπέρμα même lorsque le mot ne s’apparente pas à ce domaine-là !
Bible Parser a étendu le classement par domaine sémantique aux termes hébreux du Texte Massorétique : il est ainsi possible de rechercher tous les mots hébraïques appartenant à un même champ sémantique.
Logos propose quant à lui des fonctionnalités surprenantes. Il permet également les recherches par domaines sémantiques de Louw & Nida, mais, à la différence de Bibleworks ou Bible Parser, le logiciel tient compte de la polysémie du mot ! De plus, il propose son propre dictionnaire sémantique qui, à la différence du Louw & Nida, inclut, pour chaque domaine sémantique, à la fois les mots hébreux du TM et les mots grecs du NT. Il est possible de faire des recherches selon la classification de ce dictionnaire sémantique, et ce, pour l’ensemble du texte biblique hébreu et grec. Ainsi, il est désormais facile de rechercher rapidement la mention d’un concept particulier dans l’ensemble du texte biblique.
Mieux encore, le logiciel propose une fonction de recherche par référent. Cette fonction permet de ne plus simplement rechercher un mot ou même son synonyme, mais d’inclure les pronoms ou autres déterminants se référant à un personnage, un lieu ou une notion.
Par exemple, il est possible de rechercher tous les versets qui mentionnent ensemble le personnage « Jésus » et la ville de « Jérusalem ». Le résultat inclura tous les titres possibles donnés à Jésus (Christ, Fils de l’homme, Fils de Dieu, etc.) et même les versets où Jésus serait un sujet non mentionné d’un verbe, ou encore désigné par un pronom personnel (lui, il, etc.). De même, il inclura toutes les références à Jérusalem que celle-ci soit désignée par « Sion », la « ville de David » ou même tout simplement « la ville ».
Logos va encore plus loin. En effet, il est désormais possible de préciser le « rôle sémantique » du mot que vous cherchez.La syntaxe permet de déterminer le fonctionnement grammatical d’une phrase, mais pas forcément le rôle sémantique d’un mot. Par exemple, les phrases suivantes ont le même sens : « Jésus a été baptisé par Jean » ; « Jean a baptisé Jésus » ; « Jean a donné le baptême à Jésus ». Dans ces trois phrases, « Jésus » a le même rôle sémantique : il est le bénéficiaire du baptême. Pourtant, d’un point de vue syntaxique « Jésus » est, selon les exemples, sujet, complément d’objet direct ou complément d’objet indirect du verbe de la phrase. Une recherche par « rôle sémantique » permettra de trouver rapidement toutes les mentions bibliques du baptême de Jésus.
Il est également possible de faire une recherche en la limitant aux paroles d’une personne donnée (« orateur ») ou en fonction des personnes à qui est adressée une parole (« auditeur »).
Par exemple, si vous souhaitez chercher dans l’AT, toutes les paroles attribuées à Dieu au sujet de l’amour, vous pouvez rechercher les mots de la racine אהב (aimer) en précisant que l’orateur est « Dieu ». De même, vous pourriez rechercher dans le NT toutes les paroles de Jésus adressées à Pierre.
La version 7 de Logos introduit encore d’autres types de données pouvant être explorées : il est possible de rechercher des figures de style particulières, l’emploi de langage figuré ou certains types de discours (phrase informative, question, ordre, etc.). On peut aussi limiter sa recherche aux phrases d’un certain genre littéraire ou aux propositions d’un certain type.
Les recherches de type « sémantique » ouvrent à des possibilités incroyables. Elles permettent de compléter et de préciser grandement une recherche classique basée uniquement sur la « forme » du mot.
c) Recherches syntaxiques
Un autre type de recherches peut intéresser les linguistes : il s’agit des recherches portant sur une construction syntaxique donnée. Supposons que l’on souhaite retrouver toutes les phrases où tel mot est le sujet d’un verbe au passé dont le complément d’objet est un adjectif substantivé. Pour le grec, on pourra peut-être y parvenir grâce à une recherche morphologique, en précisant la forme et le cas de chaque mot. Cependant, pour l’hébreu, l’absence de déclinaison ne permet pas une telle recherche. Accordance et Logos permettent d’outrepasser cette limite, grâce à des bases de données intégrant des informations syntaxiques précises. Les spécialistes de la grammaire hébraïque peuvent ainsi s’y donner à cœur joie !
Accordance a développé ses propres bases de données syntaxiques (désormais complètes pour le NT et presque complètes pour l’AT). Les recherches syntaxiques sont bien plus simples à effectuer avec Accordance qu’avec Logos.
Depuis la sortie de la version 12, une nouvelle base de données syntaxique est venue s’ajouter au catalogue d’Accordance. Il s’agit de la base de données ETCBC développée par une équipe de l’Université d’Amsterdam et accessible gratuitement en ligne sur le site « Shebanq ». Toutefois, l’interface en ligne est très complexe à utiliser et demande un certain apprentissage. L’intérêt de posséder cette base de données (vendue 99,90 $) sur Accordance est bien entendu la facilité des recherches ! L’utilisation du moteur graphique d’Accordance pour faire des recherches syntaxiques est bien plus aisée que l’utilisation de l’interface du site Shebanq. On notera toutefois que la version d’Accordance n’inclut pas l’ensemble des informations de la base de données de l’ETCBC (mais elle en inclut déjà beaucoup !).
Logos propose, quant à lui, trois bases de données syntaxiques pour l’ensemble du NT grec, deux bases de données pour le texte hébreu de l’AT (dont celle de l’ETCBC), et une base de données pour le texte grec de la Septante (toutes incluses dans le pack testé). Certaines bases de données, comme celle d’Andersen et Forbes pour le Texte Massorétique, sont particulièrement élaborées. Elles permettent ainsi des recherches plus précises et plus puissantes que sur Accordance. Cela est certes un atout, mais c’est également une contrainte : les recherches syntaxiques s’avèrent particulièrement complexes à réaliser avec Logos. En effet, chaque base de données a son propre vocabulaire syntaxique et son propre découpage des textes. Pour une bonne utilisation, il convient dès lors, d’apprendre le langage de celui qui a réalisé la base de données. Or, plus les informations syntaxiques sont détaillées, plus l’apprentissage est long.
d) Étude d’un mot
En ce qui concerne les études sémantiques autour d’un mot, certains logiciels ouvrent encore à d’autres possibilités.
Bible Parser propose diverses informations intéressantes à partir des dictionnaires de grec, hébreu ou latin élaborés par le concepteur du logiciel. Pour un mot grec, on découvre ainsi, en un coup d’œil, les synonymes de ce mot, ses diverses formes ou dérivés, ou encore les mots hébreux qu’il traduit dans la LXX. Des statistiques sont également proposées sous forme de graphique.
Pour Bibleworks, on notera l’outil intitulé « KWIC » qui comptabilise la fréquence des mots à proximité d’un mot donné.
Par exemple, il est possible de demander au logiciel de comptabiliser tous les mots qui sont à proximité du lemme λόγος dans l’évangile de Jean. On peut également préciser que l’on souhaite que le logiciel comptabilise uniquement les cinq mots précédant ou suivant λόγος. On découvre ainsi, par exemple, que le mot ἐγώ se retrouve 15 fois à proximité de λόγος au sein de l’évangile de Jean. Cet outil est donc particulièrement utile pour repérer les associations de mots.
Accordance ne propose pas un outil comparable. Toutefois, il est possible d’obtenir un résultat similaire grâce à une requête du type « * <WITHIN 5 WORDS> λόγος ». Il conviendra ensuite d’afficher les résultats à l’aide d’un graphique ou de la fonction « analysis ».
Logos surpasse largement ses concurrents sur ce point, grâce à sa fonction « étude de mot ». Cet outil permet de visualiser facilement à quels sujets, verbes ou compléments un mot est associé, avec quelles prépositions il est employé, à quelle famille lexicale il appartient, mais aussi à quelle famille sémantique il se rattache. L’outil propose également de belles statistiques sur la manière dont un mot hébreu est traduit dans la LXX, et inversement, sur les mots hébreux que traduit un mot grec. Toutes ces données sont présentées de manières agréables, avec de nombreux liens vers les textes grecs ou hébreux. C’est tout simplement époustouflant !
e) Traductions d’un mot
Pour les questions relatives à la traduction de la Septante, nous renvoyons au paragraphe ci-dessus en relation avec la critique textuelle de l’Ancien Testament.
Accordance et Bibleworks permettent de faire des recherches croisées au sein de plusieurs traductions de la Bible. Sur Accordance, cela est possible via la requête « CONTENTS ». Sur Bibleworks, il faudra utiliser le moteur de recherche graphique (Graphic Search Engine). Il est ainsi possible de chercher les versets contenant un mot dans une langue et un autre mot dans une autre langue
Par exemple, afin d’étudier les différentes traductions du mot « λόγος », on pourrait chercher les versets du NA28 dans lesquels ce mot est présent et pour lesquels le mot « parole » n’est pas présent dans une traduction française comme la TOB.
Ce type de recherche peut également s’effectuer entre toutes les versions de la Bible présentes sur Accordance ou Bibleworks : on pourrait ainsi comparer le TM et une traduction française, ou le TM et le texte grec de la LXX, ou encore deux traductions françaises entre elles.
Bible Parser propose quant à lui des statistiques sur la manière dont un mot grec est traduit en français dans la version Louis Segond. Ces statistiques s’étendent à l’hébreu en ce qui concerne leur traduction anglaise dans la King James Version.
Logos propose également ce type de statistiques mais uniquement pour l’anglais. Ce dernier propose aussi la possibilité d’effectuer des recherches sur un mot grec ou hébreu en fonction de sa traduction anglaise. Depuis la version 7, il est aussi possible de faire des recherches croisées entre la Vulgate clémentine et les textes originaux.
f) Applications pour la linguistique diachronique
Les diverses possibilités évoquées permettent certes d’améliorer notre compréhension de l’hébreu ou du grec biblique. Mais, ceux qui s’intéressent à la critique rédactionnelle pourront également tirer bénéfice de ces diverses fonctionnalités. En effet, ils pourront vérifier rapidement si une construction syntaxique particulière ou un vocabulaire donné est effectivement propre à une source ou un auteur particulier.
Imaginons qu’un exégète de l’AT veuille vérifier que telle formule hébraïque est effectivement typique de ce que certains critiques appellent la source sacerdotale. Pour cela, il lui suffira d’entrer cette formule dans son moteur de recherche et de vérifier si la liste des résultats correspond aux passages généralement attribués à la source sacerdotale.
Ceux qui s’intéressent à l’évolution de l’Hébreu pourront de même retrouver facilement toutes les occurrences de ce qu’ils pensent être une construction syntaxique typique de l’Hébreu classique ou de l’Hébreu tardif. Ou encore, à l’aide d’une recherche sémantique, ils pourront repérer rapidement les passages dans lesquels un mot grec ou hébreu est utilisé dans un sens particulier.
Pour le moment, seul Logos est capable de combiner recherches morphologiques, syntaxiques et sémantiques, grâce à des bases de données extrêmement fournies. Pour le TM, le logiciel rassemble deux bases de données réalisées par Francis I. Andersen et A. Dean Forbes[2]. Il est ainsi possible de faire des recherches dans le texte hébreu en précisant à la fois la syntaxe d’une phrase, l’analyse morphologique d’un mot, sa place et son rôle dans la phrase. Cette requête peut être couplée avec la recherche d’un domaine sémantique donné ou d’une traduction anglaise particulière. Enfin, il est possible de limiter la recherche à un type de discours donné parmi les quarante-neuf recensés (narration, parole divine, parole de bénédiction, discours prophétique, etc.), et, pour les six premiers livres de la Bible, de préciser la source qui nous intéresse, selon la classification d’Otto Eissfeldt. Il faudra certes beaucoup de temps pour prendre en main ce type de bases de données, mais les possibilités en matière de recherche philologique sont exponentiellement plus élevées qu’avec une base de données qui ne donne accès qu’à l’analyse morphologique d’un mot.
Pour quelques exemples d’emploi de ces bases de données, on pourra consulter un article sur le blog de Michael S. Heiser. On pourra aussi visionner la vidéo ci-dessous qui montre comment une recherche syntaxique sous Logos permet de vérifier une affirmation particulière de Jan Joosten quant à l’évolution de la syntaxe hébraïque (à partir de 5’07).
[1] Johannes P. Louw et Eugene A. Nida, Greek-English Lexicon of the New Testament: Based on Semantic Domains, New York : United Bible Societies, 1989 (2e éd.).
[2] Francis I. Andersen et A. Dean Forbes, The Hebrew Bible: Andersen-Forbes Analyzed Text, Bellingham : Logos Bible Software, 2008 ; Francis I. Andersen et A. Dean Forbes, The Hebrew Bible: Andersen-Forbes Phrase Marker Analysis, Bellingham : Logos Bible Software, 2009.