Redécouvrir les dons spirituels comme des « grâces »

Dans notre langage courant, avoir un « don » ou avoir du « charisme » reflète avant tout l’idée de capacités ou d’aptitudes particulières. Pourtant, lorsque le Nouveau Testament parle de « dons » ou de « charismes » spirituels, c’est avant tout dans l’idée de « cadeaux » ou de « grâces ». Et si nous redécouvrions les dons spirituels comme des grâces de Dieu ?

« Avoir » un don

Dans la compréhension habituelle des « dons spirituels », le « don » est vu avant tout comme une « capacité » particulière. Cela se retrouve dans le langage courant : on dira d’un artiste talentueux qu’il a un « don ». Il en est de même pour le terme « charisme » qui est une transcription du terme grec correspondant à « don » : charisma. Lorsqu’on dit de quelqu’un qu’il a du « charisme », on pense au fait qu’il a un talent naturel, une prestance particulière. Dans cet usage courant des mots « don » ou « charisme », l’accent est mis davantage sur la personne qui a le « don » ou le « charisme ». C’est la personne qui « a » un don ou qui « a » du charisme. Même en milieu chrétien, on peut entendre parfois un frère demander à un autre : « quel est ton don ? »  ou « quel don penses-tu avoir ? ».

Tout cela n’est pas faux. Dans le Nouveau Testament, les « dons spirituels » consistent généralement en des aptitudes ou des capacités particulières (le don de prophétie, de guérison ; le charisme lié à un certain ministère, etc.). Toutefois, la difficulté d’une telle compréhension est qu’elle met l’accent, en premier lieu, sur la notion de « capacité particulière » plutôt que sur la notion de « grâce ».

Les dons spirituels comme des « cadeaux » que l’on reçoit

Dans le Nouveau Testament, le terme grec « charisma » qu’on traduit par « don » ou « charisme » n’a pas le sens de capacité particulière, mais bien avant tout, de « cadeau ». Un « don spirituel », c’est un « cadeau spirituel ».

En dehors du Nouveau Testament, le terme « charisma » est très peu employé. On ne le retrouve quasiment pas dans la littérature grecque ancienne, y compris la littérature juive. Dans le Nouveau Testament, à part un emploi en 1 Pierre 4.10, c’est uniquement l’apôtre Paul qui l’utilise. Si ce dernier aime bien ce mot, c’est peut-être parce que le mot « charisme » vient d’un autre mot que Paul aime beaucoup, le mot « charis », qu’on traduit généralement par « grâce ». Littéralement, le « charisme » est une « chose de la grâce ».

Ce lien se retrouve par exemple en 1 Pierre 4.10 : le chrétien se doit d’être « un bon intendant de la ‘grâce’ (charis) de Dieu » en « se mettant au service des autres, selon la ‘grâce’ (charisma) qu’il a reçue ». De même, en Romains 12.6, Paul dira « Nous avons des ‘charismes’ différents selon la ‘grâce’ qui nous a été donnée en partage ».  Autrement dit, le vocabulaire du « don » attire l’attention non pas sur la notion de « capacité » extraordinaire, mais sur celle de « cadeau », de « grâce » reçue de Dieu.

L’utilisation de cette terminologie de la « grâce » a, il me semble, plusieurs conséquences sur notre compréhension des « dons spirituels ». J’aimerais en souligner quelques unes dans la suite de cet article.

Attirer l’attention sur le donateur plutôt que sur le bénéficiaire du don

En parlant de « cadeau » ou de « grâce » reçues, plutôt que de capacités ou d’aptitude, cela permet d’attirer l’attention sur le donateur plutôt que sur le bénéficiaire du don. Les dons spirituels ne sont pas seulement des choses que « l’on a », mais, avant tout, des choses que l’on a « reçues ». Ainsi, les textes qui parlent des charismes le font dans une perspective descendante : nous sommes invités d’abord à regarder à l’auteur des dons avant de regarder aux dons ou à ceux qui reçoivent ces dons.

En 1 Corinthiens 12.4-6, Paul dira : « Il y a diversité de dons de la grâce, mais c’est le même Esprit ; diversité de services, mais c’est le même Seigneur ; diversité d’opérations, mais c’est le même Dieu qui opère tout en tous. ». En Ephésiens 4, l’apôtre Paul mentionne les « dons » qui ont été « donnés à chacun de nous » (Ep 4.7-16) après avoir rappelé qu’il n’y a qu’un seul Esprit, un seul Seigneur, un seul Dieu et Père (Ep 4.4-6). Dans ces deux passages, le Dieu trinitaire (Père – Fils – Esprit) est placé en premier lieu, pour signaler sa priorité sur la question des dons.

La question des dons spirituels est une question importante pour la vie de l’Eglise. Toutefois, la Parole de Dieu nous invite à nous rappeler de l’essentiel. Le rôle premier du chrétien et de l’Eglise n’est pas d’exercer les dons spirituels, mais de rendre gloire à Dieu. Ce qui doit remplir, en premier lieu, nos discussions, nos pensées, ou nos prières, c’est le Dieu trinitaire. Il est le Père de lumières de qui provient tout don parfait (Jacques 1.17). C’est lui notre sauveur qui est descendu pour nous faire don de sa vie. C’est lui l’auteur de toute grâce. Et c’est pour lui que nous sommes appelés à vivre. Y compris les dons spirituels.

Le lien entre la grâce du salut et les dons spirituels.

En théologie, la question des dons spirituels peut ainsi être placée en lien avec la théologie du salut ; ou pour prendre un terme technique, de la rédemption. C’est parce que Dieu nous a fait grâce en Jésus-Christ que nous pouvons bénéficier de ces diverses grâces spirituelles. Les dons spirituels sont des effets de la grâce de Dieu.

Le terme « charisma» est d’ailleurs parfois utilisés pour désigner la grâce du salut en Jésus-Christ. C’est le cas, par exemple, en Romains 6.23 : « Le salaire du péché, c’est la mort, mais le don (charisma) de Dieu c’est la vie éternelle en Jésus-Christ, notre Seigneur ».

Les dons spirituels nous permettent d’expérimenter la réalité future de la grâce du salut, comme en avant-première.

Si vous croyez en Jésus-Christ, votre salut est en même temps une réalité présente et future. D’un côté, vous pouvez dire, dès maintenant, « je suis sauvé », « j’ai été libéré, pardonné, racheté », je sais où je vais après la mort. D’un autre côté, votre salut est encore à venir : vous n’expérimentez pas encore pleinement les promesses liées au salut. Vous n’avez pas encore revêtu ce corps impérissable et glorieux qui vous est promis (ce qui explique que vous pouvez avoir mal au dos en étant chrétien, ou avoir un rhume, un cancer, et au final, que vous avez une durée de vie limitée). De même, vous n’êtes pas encore au sein de la création renouvelée, où l’on verra Dieu face à face, où l’on le connaîtra directement. Ainsi, vous êtes déjà sous la grâce, sans voir pleinement les effets de cette grâce qui ne se manifesteront totalement qu’au dernier jour.

Les dons spirituels sont des grâces qui permettent de donner comme un avant-goût de cette réalité future : le don de guérison peut permettre d’entrevoir la guérison totale et entière qui sera la nôtre à la fin des temps ; la prophétie, ou un enseignement inspiré peuvent nous faire entrevoir Dieu, comme dans un miroir. C’est dans ce sens, que Paul dit en 1 Corinthiens 13.9-13 :

« Les prophéties disparaîtront, les langues cesseront, la connaissance disparaîtra. En effet, nous connaissons partiellement et nous prophétisons partiellement, mais quand ce qui est parfait sera venu, ce qui est partiel disparaîtra. […] Aujourd’hui nous voyons au moyen d’un miroir, de manière peu claire, mais alors nous verrons face à face ; aujourd’hui je connais partiellement, mais alors je connaîtrai complètement, tout comme j’ai été connu. »

Les dons spirituels ne sont pas des aptitudes que l’on mérite

Autre point important, lié au vocabulaire de la grâce : les dons spirituels ne sont pas des aptitudes que l’on mérite. Ce ne sont pas des récompenses. Nous n’avons rien fait pour les recevoir. Ce sont des « grâces », des cadeaux immérités. Dieu les dispense comme il le souhaite. Les « bons chrétiens » ne reçoivent pas plus de dons spirituels que les autres. C’est le principe de la grâce.

« Rendre grâce » pour les grâces de Dieu !

Si les dons spirituels sont des cadeaux, cela signifie que nous devons les accueillir comme tels. Nous sommes appelés à « rendre grâce » pour les grâces qui nous sont faites.

Il peut arriver parfois que les charismes soient vécus comme un fardeau ou une charge pour ceux qui les ont reçus. C’est le cas en particulier pour ceux qui exercent un ministère particulier. Un peu comme le prophète Jérémie qui se plaint à Dieu pour le ministère qu’il lui a confié (voir par exemple Jérémie 15.10-21). Ou Moïse qui dit : « envoie quelqu’un d’autre » (Ex 4.13). Toutefois, nous sommes encouragés à voir les dons spirituels d’abord comme des cadeaux que Dieu fait à son Eglise. Ce sont de belles et bonnes choses. Une parole du Seigneur, une guérison, un don pour annoncer la Bonne Nouvelle… tout cela est bon ! C’est parce que les dons spirituels sont une bonne chose que l’apôtre Paul nous invite à « aspirer aux dons les meilleurs » (1 Co 12.31).

Lorsqu’on vous fait un cadeau, la moindre des choses, c’est de dire merci, même si ce n’est pas forcément le cadeau que vous attendiez. Si c’est notre Père céleste qui nous fait des cadeaux, il ne se trompe jamais sur le cadeau et le destinataire. Alors prenons l’habitude de « rendre grâce » pour les grâces spirituelles !

La mise en oeuvre des dons comme réponse reconnaissante à la grâce

Recevoir les dons spirituels comme des grâces du Seigneur implique de les mettre en œuvre. Si nous reconnaissons que cela vient de Dieu, nous ne pouvons pas nous dire : ah, c’est cool, c’est un joli don. Et placer le don sur une étagère. C’est dans ce sens que Paul peut dire à Timothée : « ne néglige pas le charisme qui t’a été donné » (1 Tim 4.14) ou « ravive le charisme de Dieu qui est en toi » (2 Tim 1.6).

Il me semble que la parabole des talents exprime bien cette idée (Mt 25.14-30 ; Lc 19.12-27). Cela me semble juste de comprendre les « talents » confiés par le maître à ses serviteurs comme se référant aux dons spirituels, compris dans un sens large. C’est-à-dire aux différents cadeaux que le maître – Jésus – nous a laissés après son départ.

Certaines personnes qui lisent la parabole des talents ont l’impression de voir Jésus défendre le salut par les œuvres. En effet, on peut avoir l’impression en lisant cette parabole que notre salut dépendra de ce que nous avons ou pas œuvré au service de Dieu. Et on peut se demander où est la grâce dans tout cela ?

Je pense que, bien au contraire, ceux qui sont récompensés dans la parabole, ce sont ceux qui ont vraiment saisi la valeur de la grâce de Dieu. Dieu confie à ses serviteurs des dons d’une valeur extraordinaire. On estime qu’un talent correspondait à l’époque à 20 ans de salaire d’un ouvrier. En pouvoir d’achat actuel, un talent correspondrait donc à environ 300 000 euros. Au premier serviteur, le maître aurait donc confié 1 500 000 euros, au second 900 000 euros et au troisième 300 000 euros. Ce sont, pour des serviteurs / esclaves, des sommes énormes, des cadeaux extraordinaires !

Dans la parabole, celui qui est condamné, c’est celui qui n’a pas compris la grâce de Dieu. Il a une vision d’un Dieu qui punit sévèrement celui qui agit mal (Mt 25.24-25). Et plutôt que de mal agir, il n’agit pas du tout. Il n’a pas conscience de la valeur de la grâce qui lui a été faite. Il pense que partager la grâce de Dieu encourt un risque. Il préfère cacher cette grâce. Chez cet homme la grâce est restée stérile et improductive.

Par contre, l’attitude des deux autres serviteurs de la parabole est toute autre. Ceux-ci ont probablement pris conscience de la valeur de la grâce qu’ils ont reçue. Ils s’empressent de se mettre au service de celui qui leur a fait ce cadeau si merveilleux. Leurs actions ne sont pas motivées par la crainte du jugement d’un maître sévère, mais probablement par l’amour qu’ils ont envers ce maître qui leur a fait un tel cadeau. Celui qui a pris conscience de la valeur de la grâce de Dieu est reconnaissant envers ce Dieu qui lui a tout donné. Lui qui ne nous doit rien mais nous a donné jusqu’à sa propre vie. L’homme qui a pris pleinement conscience de l’inestimable valeur de la grâce de Dieu ne peut s’empêcher d’être éternellement reconnaissant envers celui qui lui a fait ce cadeau. Dès lors, se mettre au service d’un tel Dieu n’est absolument pas difficile. Les sacrifices demandés apparaissent beaucoup plus simples.

Si nous avons pleinement réalisé la valeur de la grâce de Dieu, alors nous nous empresserons de nous mettre au service de Dieu. Cette grâce ne sera pas que de simples mots mais une grâce vivante, une grâce qui produit du fruit, une grâce qui transforme les vies, une grâce qui peut changer les nations, une grâce qui fait s’agenouiller les plus puissants, une grâce qui libère, une grâce qui guérit, une grâce qui produit la vie.

Ne méprisons pas les incroyables cadeaux que Dieu nous a confiés ! Donnons-leur leur juste valeur ! Et utilisons-les pour sa gloire !

  1. Caroline Merlier

    Merci beaucoup pour cette réflexion sur les dons/grâces de Dieu. Il est vrai que je n’avais pas bien compris la parabole des talents mais à la lumière de votre étude tout devient clair. Merci de nous faire profiter de ce cadeau que Dieu vous a donné qu’est l’enseignement des Ecritures.