L’Evangile de la femme de Jésus : un faux du 21e siècle

Ces dernières années, un petit fragment de papyrus intitulé humblement « L’Evangile de la femme de Jésus » a fait couler beaucoup d’encre. Récemment, on a vu circuler sur les réseaux sociaux un article du National Geographic à ce sujet. Cet article n’est pas daté et, la manière dont il présente les « nouvelles » informations me fait penser qu’il date de 2014. En effet, c’est en avril 2014 que la très sérieuse Harvard Theological Review  avait publié un numéro présentant les analyses scientifiques rapportées par l’article du National Geographic (les articles de ce numéro sont consultables en ligne sur le site de la revue)

Depuis, il a été démontré que le papyrus est un faux produit au 21e siècle.

Les éléments qui ont conduit à établir que le manuscrit était un faux

Divers blogs anglophones tenus par des spécialistes compétents sur le sujet ont discuté en long et en large de ce manuscrit (voir, par exemple, ici ou ici). Je me contenterai de rappeler ici les faits importants et les publications scientifiques ou journalistiques majeures à ce sujet.

  • En juillet 2015, un numéro complet de New Testament Studies regroupa un certain nombre d’articles pointus expliquant pourquoi le manuscrit est très probablement un faux (voir le sommaire ici). New Testament Studies est une des revues scientifiques les plus renommées au niveau des études autour du Nouveau Testament et du christianisme primitif.
  • En juin 2016, un journaliste américain, Ariel Sabar, a publié un article pour « The Atlantic », présentant les résultats de son enquête sur l’origine du papyrus. Il a pu remonter jusqu’à son propriétaire (qui voulait rester anonyme) : Walter Fritz. L’enquête présente le parcours très atypique et surprenant de ce personnage peu recommandable. On découvre ainsi les mensonges de cet individu, ainsi que ses compétences qui font de lui un faussaire très plausible. Si vous lisez l’anglais, l’article est très bien écrit et l’enquête est passionnante (voir ici).
  • Suite à la publication de cette enquête, Karen King elle-même a laissé entendre qu’elle pensait désormais qu’il s’agissait d’un faux (voir sa déclaration à The Atlantic ici et sa déclaration au Boston Globe ici). Cette professeur d’Harvard était celle qui a rendu public le fragment, qui lui a donné le nom d’ « Evangile de la femme de Jésus » et qui a le plus défendu son  authenticité. Ces déclarations de Karen King ont donc eu pour effet de classer l’affaire.
  • Depuis, il n’y a plus de débat : plus aucun scientifique ne défend encore l’ancienneté du texte. Un article intitulé « Postscript : A Final Note about the Origin of the Gospel of Jesus’ Wife » a tout de même encore été publié dans New Testament Studies en avril 2017, appuyant encore ce consensus concernant l’inauthenticité du manuscrit. 

En résumé, le consensus actuel est que le mal-nommé « Evangile de la femme de Jésus » est un texte inventé au 21e siècle par un faussaire.

Comment le faussaire s’y est-il pris ?

Comment le faussaire a-t-il pu tromper les analyses scientifiques ? En effet, comme le rapporte le (vieil) article de National Geographic, une datation au Carbone 14 a permis de dater le papyrus des 7e ou 8e siècles environ. De même, une analyse de l’encre de ce papyrus a permis de montrer que ses composants étaient ceux utilisés à cette époque par les scribes (et qu’on ne trouve plus une telle encre aujourd’hui). Alors, comment peut-on contourner de telles analyses ?

En ce qui concerne la datation du papyrus sur lequel le texte a été écrit, c’est très simple : il « suffit » d’utiliser un bout de papyrus vierge datant du 7e ou 8e siècle (en découpant, par exemple, un bout d’un manuscrit de cette époque d’une moindre valeur). « L’Evangile de la femme de Jésus » est un bout de papyrus de la taille d’un post-it (8×4 cm) relativement bien découpé : c’est donc tout à fait plausible.

En ce qui concerne la composition de l’encre, c’est plus compliqué, mais théoriquement faisable. On peut, soit récupérer de l’encre séchée à partir d’encriers de cette époque (en vente sur ebay !) et ré-hydrater les résidus. Ou, on peut fabriquer soi-même de l’encre en utilisant les mêmes composants et les mêmes procédés qu’aux 7e ou 8e siècles : étant donné que ces procédés et ces composants sont connus, une personne bien informée pourrait tout à fait le faire.

Est-ce que Walter Fritz aurait été capable de faire cela ? L’enquête d’Ariel Shabar montre que oui. D’une part, il est possible qu’il ait participé à un trafic d’antiquités en Allemagne de l’Est lorsqu’il fut temporairement directeur de musée (avant de se faire rapidement remercier). Il a pu découper un morceau de papyrus des 7e ou 8e siècles provenant de là. D’autre part, Walter Fritz a publié un article, en 1991, dans une revue scientifique allemande. À la lecture de cet article, on se rend compte que son auteur connait bien les enjeux liés à la datation d’un texte antique, et notamment en ce qui concerne la composition des encres anciennes (voir l’explication ici)  Il est tout à fait plausible qu’il ait été capable de reconstituer une encre à la composition similaire de celles utilisées au moyen-âge.

Cette affaire confirme le fait que les faussaires peuvent être particulièrement ingénieux jusqu’à contourner les datations au Carbone 14. Étant donné le prix très élevé auquel un manuscrit particulièrement original peut prétendre, on peut comprendre que les faussaires s’en donnent les moyens. Plusieurs spécialistes rappellent également, suite à cette affaire, la nécessité de connaître la provenance d’une pièce antique pour s’assurer qu’il ne s’agit pas d’un faux.

Et, au final, qui faut-il croire ? Jésus avait-il une femme ?

Il n’est pas totalement impossible qu’on découvre un jour un « vrai » texte ancien affirmant que Jésus était marié. Ce texte pourrait même être daté du 3e voire du 2e siècle, comme le prétendaient certains défenseurs de « L’Evangile de Jésus ». Que faudrait-il alors en penser ?

De tout temps, des auteurs – chrétiens ou non – ont cherché à imaginer certains détails de la vie de Jésus qui ne se trouvent pas dans les évangiles bibliques (ses 30 premières années, par exemple). D’autres ont proposé des versions « alternatives » de la vie de Jésus. Bref, les histoires sur Jésus n’ont de limite que l’imagination de leurs auteurs. Bien des pièces de Noël de nos Eglises imaginent des paroles ou des gestes que Jésus, ses parents, les mages ou les bergers « auraient pu dire » (mais dont les évangiles bibliques ne disent rien). De tels récits existent depuis très longtemps, et on donne généralement aux plus anciens le titre « d’évangiles apocryphes ». Certains de ces évangiles apocryphes – comme l’Evangile de Thomas – remontent probablement au milieu du deuxième siècle.

Que faut-il en penser ? Que prendre au sérieux tout ce que disent les textes anciens sur Jésus… ce n’est pas sérieux ! Les sources historiques les plus anciennes que nous possédons, ce sont les quatre évangiles qu’on trouve dans nos Bibles. Ces quatre évangiles ont été écrits au premier siècle, quelques dizaines d’années après la mort et la résurrection de Jésus. Ils ont été écrits – au moins pour certains – à une époque où certains des disciples de Jésus étaient encore en vie. Le texte de ces évangiles est attesté par des milliers de manuscrits.

Bref, d’un point de vue strictement historique, les quatre évangiles bibliques sont nos meilleures sources pour savoir qui était Jésus. Et ces textes ne nous parlent jamais de la femme de Jésus. L’explication la plus plausible : Jésus est resté célibataire.