Interpréter l’Ecriture à la manière du Nouveau Testament : 1. La centralité du Christ

Cet article s'insère dans la cadre de la série "Interpréter la Bible : Pourquoi et comment ?"

Dans le précédent article, nous avons vu que l’interprétation de la Bible est une nécessité. S’il convient d’interpréter l’Ecriture, on peut se demander « comment » nous devons l’interpréter. C’est à cette question que les prochains articles essayeront de répondre.

Interpréter l’Ecriture à la manière du Nouveau Testament

En tant qu’évangélique, héritier de la Réforme, ce qui fait autorité pour ma foi et ma vie, c’est l’Écriture seule (sola scriptura). Cela vaut également pour l’interprétation de l’Écriture : la meilleure méthode herméneutique sera celle que l’Écriture elle-même applique lorsqu’elle cite ou commente un autre passage de l’Écriture.

Au sein de l’Ancien Testament, on trouve déjà un certain nombre de passages qui font référence à d’autres passages de l’Écriture. On pourrait par exemple s’intéresser à la manière dont les prophètes interprètent la Loi ou comment le Psautier relit l’histoire d’Israël. En tant que chrétiens, c’est surtout la manière dont le Nouveau Testament interprète l’Ancien Testament qui nous intéressera.

On compte plus de 250 citations explicites de l’Ancien Testament dans le Nouveau Testament[1] (250 introduites par une formule + 45 allusions évidentes). Si on y ajoute les allusions implicites à l’Ancien Testament, les chiffres vont de 613 à plus de 4000 selon les commentateurs[2]. Ces nombreuses données nous permettent d’avoir une bonne idée de la manière dont les auteurs du NT interprètent l’AT.

La suite de la discussion essayera de proposer quelques points importants qu’il est possible de déduire de l’analyse de ces données.

La centralité du Christ

cross-and-bible-1152754La Bible a pour centre l’œuvre et de la personne du Christ. Par conséquent, c’est à la lumière du Christ qu’il convient d’interpréter l’Écriture.

Le Nouveau Testament est explicitement centré sur l’œuvre et la personne de Jésus-Christ : les Evangiles racontent la vie de Jésus ; les Actes racontent comment les apôtres ont diffusé son message à travers l’Empire Romain ; les épîtres sont focalisées sur ce que Jésus a accompli et sur ce que cela change pour le croyant ; l’Apocalypse se présente comme une « révélation de Jésus-Christ » (Ap 1.1). Sans Jésus, le Nouveau Testament n’aurait tout simplement pas lieu d’être ! Il est donc impossible de lire un passage du Nouveau Testament en le déconnectant de l’œuvre du Christ.

Les choses sont moins évidentes pour l’Ancien Testament, car celui-ci ne parle pas explicitement de Jésus de Nazareth. Toutefois, les prophètes ou les Psaumes annoncent la venue d’un messie (Christ). De plus, le problème du péché semble irrésolu, l’obéissance à la Loi paraît impossible et l’on voit bien qu’une solution est nécessaire. Les prophètes annoncent notamment une alliance nouvelle et éternelle qui permettrait de régler ce problème. Le Nouveau Testament va expliquer que cette attente s’accomplit en Jésus-Christ.

En Luc 24.44, Jésus dit : « C’est là ce que je vous disais lorsque j’étais encore avec vous ; il fallait que s’accomplisse tout ce qui est écrit à mon sujet dans la loi de Moïse, dans les Prophètes et dans les Psaumes. ». En d’autres termes, Jésus affirme que les 3 parties du canon hébraïque (Loi, Prophètes, Ecrits) parlent de lui (voir aussi Luc 24.17).

En Actes 8, l’eunuque éthiopien ne comprend pas à qui se réfère le fameux passage d’Esaïe 53 (Ac 8.34). Philippe va alors lui « annoncer la bonne nouvelle de Jésus à partir de ce passage » (Ac 8.35).

Plusieurs passages présentent Jésus comme le « nouveau Moïse », celui qui vient instaurer une nouvelle Loi. C’est le cas notamment du début de l’Evangile de Matthieu où les parallèles avec la vie de Moïse sont indéniables : Jésus échappe à la mort des nouveau-nés (Mt 2.16-18), il fuit en Egypte (Mt 2.13-14), il passe par les eaux du Jourdain (Mt 3.13-17), il est tenté pendant 40 jours dans le désert (Mt 4.1-11) et présente sa « Loi » dans le cadre d’un discours « sur la montagne » (Mt 5.1). D’autres passages présentent Jésus comme étant « le prophète comme Moïse » évoqué par Deutéronome 18 (Ac 3.22-23 ; 7.37 ; cf. Dt 18.15). Enfin, le quatrième évangile fait directement le lien entre les deux figures : « la loi a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ » (Jn 1.17).

L’apôtre Paul affirme clairement la nécessité de lire l’Ancien Testament à la lumière du Christ : « Jusqu’à ce jour, quand ils font la lecture publique de l’ancienne alliance, le même voile demeure ; il n’est pas enlevé, parce qu’il ne disparaît que dans le Christ » (2 Co 3.14).

Ainsi, une des clés principales pour l’interprétation de l’Écriture, et en particulier de l’Ancien Testament, est de la lire à la lumière du Christ. Jésus étant la Parole de Dieu faite chair, il n’est plus possible de comprendre la Parole de Dieu sans tenir compte de cette incarnation.

Concrètement, cela signifie qu’il n’est pas possible de prendre un passage de l’Ancien Testament et de l’appliquer sans tenir compte de la manière dont la venue du Christ pourrait en modifier la portée.

Application de ce principe dans le cadre de la Loi de l’Ancien Testament.

Hébreux 8 à 10 affirme clairement que le culte tel qu’il a été institué par l’Ancien Testament est dépassé : « Ceux-ci célèbrent le culte dans une copie et une ombre des choses célestes » (Hé 8.5). Les lois concernant le culte de l’Ancien Testament ne sont donc plus valables : cela relève de « l’ancienne alliance » (Hé 8.13). En Jésus-Christ, nous n’avons plus besoin de sacrifices car il est le sacrifice parfait accompli une fois pour toute ; nous n’avons plus besoin de prêtres car il est notre grand-prêtre ; nous n’avons plus besoin de tabernacle (ou de temple) car le ciel est le sanctuaire dans lequel Jésus est entré (Hé 9.11-10.18).

 Si certaines lois de l’Ancien Testament n’ont plus lieu d’être, comment savoir lesquelles sont encore valables ?

La tradition réformée a généralement distingué les lois cérémonielles (en rapport avec le culte), les lois civiles (en rapport avec le fonctionnement du peuple d’Israël) et les lois morales (éthiques) : seules les lois morales, représentant la volonté de Dieu universelle, seraient encore valables aujourd’hui (cf. Confession de Westminster, art. 19). Toutefois, les limites entre ces différentes catégories ne sont pas toujours claires : certaines lois peuvent avoir une dimension morale, sociale et cultuelle en même temps. Par exemple, en cas de litige concernant une affaire de meurtre (loi morale), les Israélites sont invités à régler l’affaire (loi civile) en allant trouver les prêtres-lévites (dimension cultuelle) (Dt 17.8-13).

L’application de ce principe est donc complexe et ne s’avère pas toujours pertinent. Il semble préférable de considérer les lois au « cas par cas » et de se demander ce que la venue de Jésus-Christ peut apporter comme éclairage sur cette loi.

Un exemple : la validité des lois sur l’homosexualité (Lv 18.22, 20.13)

On trouve sur Internet la soi-disante histoire d’une animatrice qui, au cours d’une émission radio, aurait affirmé que l’homosexualité est une abomination car c’est ce que Lévitique 18.22 dit, « un point c’est tout ». Un auditeur lui aurait alors répondu par un courrier en expliquant que s’il fallait prendre Lévitique 18 à la lettre, ne faudrait-il pas aussi dire qu’il est interdit de manger des fruits de mer, que celui qui travaille le samedi encourt la peine de mort ou qu’il est possible d’acheter un esclave ?[3]

En réalité, le pseudo-auteur de cette lettre n’a pas tout à fait tort. En tant que chrétien, il n’est pas possible de dire que l’homosexualité est une abomination en se basant uniquement sur le Lévitique. Nous devons voir ce que la venue de Jésus-Christ apporte comme regard sur cette situation.

En Romains 1.26-27, Paul utilise l’exemple des relations homosexuelles pour démontrer la folie des païens : bien que Dieu les ait créés avec une conscience, ils se laissent porter par leurs pulsions et justifient des relations contre-nature par des raisonnements futiles et sans intelligence (Rm 1.18-25). Ainsi, pour Paul, il est évident que l’homosexualité reste mauvaise pour l’être humain, et qu’elle le condamne, comme bien d’autres péchés, à la mort (Rm 1.28-32).

Toutefois, cette explication se termine par l’interpellation du début du chapitre 2 : « Qui es-tu toi qui juges ? […] Penses-tu donc pouvoir échapper au jugement ? » (Rm 2.1-3). Paul montre que si l’homosexuel est condamné, tout être humain pécheur l’est également. Et si Paul attire notre attention sur cela, c’est pour nous faire réaliser que nous avons tous autant besoin de la grâce du Christ !

Par conséquent, lire Lévitique 18.22 et 20.13 à la lumière du Christ, c’est dire : oui, l’homosexualité est un péché, mais je dois considérer l’homosexuel comme n’importe quel pécheur, à commencer par moi-même. Mon message à son encontre doit donc avant tout être marqué par la grâce de Dieu en Jésus-Christ qui se manifeste par le pardon et la possibilité d’être restaurés dans notre véritable identité d’être humain, créé à l’image de Dieu. Si le Lévitique présente la pratique homosexuelle comme une abomination qui mérite la peine de mort (Lv 20.13), le Nouveau Testament présente l’homosexuel comme un pécheur méritant la mort éternelle, mais appelé à être gracié en Jésus-Christ !

 Application du principe de la centralité du Christ dans le cas des textes prophétiques.

S’il est bien un type de textes pour lesquels le principe de centralité du Christ doit être appliqué, c’est celui des écrits prophétiques. Les promesses prophétiques de l’Ancien Testament ne peuvent se lire en-dehors de leur accomplissement en Jésus-Christ. Le Nouveau Testament explique clairement qu’il est le roi-berger/Messie, le descendant de David annoncé par l’Ancien Testament (Mt 1.1, 23, 2.6 ; Jn 7.42), mais aussi le serviteur souffrant (Ac 8.32-35 ; 1 P 2.21-25 ; voir Es 53) ; que c’est par son sang que la nouvelle alliance a été scellée (Lc 22.20 ; 1 Co 11.25 ; Hé 9.15, 12.24 ; voir Jr 31.31-34) ; qu’il est la lumière des nations qui permet aux non-Juifs d’être intégrés au peuple de Dieu (Ac 26.22-23 ; voir Es 42.6, 49.6) ; ou que sa venue inaugure le Royaume de Dieu (Mt 10.7 ; Mc 1.15).

L’Apocalypse est un des meilleurs exemples de ce principe :  le « prophète » Jean y relit les prophéties de l’Ancien Testament à la lumière de l’œuvre de Jésus-Christ.

[1] D’après Roger Nicole, on a 224 citations directes introduites par une formule d’introduction + 7 fois une deuxième citation introduite simplement par « et » + 19 fois une formule introduisant une citation suivie d’un résumé ou d’une paraphrase du texte biblique : soit 250 citations explicites. Il y a joute 45 allusions claires et indiscutables au texte de l’AT (sans qu’il y ait de formule introductive) ; ce qui ferait un total de 295 (http://www.bible-researcher.com/nicole.html ).
[2] Ibid.
[3] On retrouve cette histoire, probablement fictive, sur différents sites (pour une version francophone, voir par exemple ici).
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