3°) Accueillir la prophétie dans l’Église : discernement et autorité de la prophétie

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Cet article s'insère dans la cadre de la série "La prophétie chrétienne d'après le Nouveau Testament"

La prophétie n’est pas une fin en soi : il s’agit d’un moyen utilisé par Dieu pour transmettre un message à une ou plusieurs personnes. Par conséquent, il convient de se placer aussi du côté des auditeurs de la prophétie. Comment sommes-nous appelés à accueillir la prophétie dans l’Église ?

La nécessité de la prophétie pour l’Église

La première chose que je relève, c’est la nécessité d’un accueil positif de la prophétie dans l’Église. Les prophètes chrétiens sont les « envoyés » du Christ (Mt 10.40-41; 23.34) et ses « témoins » dans ce monde (Ap 11.3-13; 19.10; 22.9). Par conséquent, leurs prophéties sont accueillies et écoutées dans l’Église (Ac 11.27-30; 13.1-3; 21.10-14). Il est donc nécessaire de valoriser la prophétie et de lui réserver une place de choix dans la pratique ecclésiale (1 Co 12.28; 14; 1 Th 5.19-20).

Il me semble que le Nouveau Testament donne deux raisons théologiques principales à cette nécessité. La première raison est intrinsèque à l’identité de l’Église : celle-ci est perçue comme le peuple prophétique eschatologique (voir Ac 2.1-41 ; Ap 11.3-13). Deuxièmement, comme nous avons vu précédemment, la prophétie est présentée comme jouant un rôle important dans l’édification – la croissance ! – de l’Église (voir 1 Co 14.1-40 ; Ep 4.11-16).

Accueillir positivement la prophétie n’est pas une option, mais bien une nécessité pour la bonne construction de l’édifice.

La nécessité du discernement prophétique

Ouvrir la porte au prophétique dans l’Église peut faire peur : on craint forcément les dérives éventuelles. Nous avons tous en mémoire quelques mauvaises expériences dans ce domaine ou quelques exemples farfelus rencontrés sur Internet ou ailleurs. Des montanistes aux mormons, l’histoire de l’Église est marquée par les dérives prophétiques en tout genre.

Cela existait déjà largement à l’époque des auteurs bibliques. Ceux-ci sont tout à fait conscients du risque. Dans l’Ancien Testament, les exemples de conflits entre les prophètes du Seigneur et les faux-prophètes sont nombreux (voir Dt 13.2-6; 18.9-22; 1 R 18.20-40; 22.5-28; Jr 28.1-17). Le Nouveau Testament ne cache pas non plus l’existence de faux-prophètes qui détournent certains croyants de l’Évangile du Christ (voir Mt 7.15-23; 24.11, 23-25; Ac 13.6-12; 1 Jn 4.1-6; Ap 2.20; 16.13; 19.20; 20.10). Malgré cela, comme nous l’avons vu, le Nouveau Testament encourage la pratique de la prophétie dans l’Église. La réponse du Nouveau Testament à la dérive prophétique n’est pas l’absence de prophétie, mais plutôt l’encouragement au discernement prophétique.

Le discernement des prophètes et le discernement des prophéties

Lorsqu’il s’agit de synthétiser les données néotestamentaires sur ce point, il est nécessaire de distinguer deux phénomènes.

D’une part, certains textes mettent en garde contre des faux prophètes. Ceux-ci influencent l’Église mais ils sont clairement dénoncés comme n’étant pas de vrais chrétiens. Il s’agit alors de repérer ces usurpateurs et de les mettre au ban de la communauté.

D’autre part, certains textes évoquent un examen des prophéties dans le cadre d’une assemblée ecclésiale. Cette évaluation porte sur les prophéties et non sur le prophète.

Principes généraux pour le discernement

De manière générale, plusieurs éléments sont à noter :

Tout d’abord, dans le Nouveau Testament, le discernement prophétique est toujours l’affaire de la communauté dans son ensemble. Aucun texte ne suggère que le discernement soit uniquement l’affaire du pasteur ou des responsables de la communauté. Tous les textes invitant au discernement prophétique sont des exhortations générales (voir, par exemple, Mt 7.15-23; 1 Co 14.29; 1 Th 5.21-22; 2 P 2.1; 1 Jn 4.1; Ap 2.20). Tous les croyants sont concernés ! C’est une affaire communautaire pour laquelle chaque croyant est responsabilisé. Il convient donc que les croyants soient formés et équipés pour apprendre à discerner les prophéties. Cela est d’autant plus important à l’ère de l’Internet où tous les faux prophètes sont à portée de clic.

Deuxièmement, comme je l’ai déjà noté, la prophétie est chrétienne ou elle n’est pas. Il n’y a pas de vrai prophète non chrétien, ni de prophétie qui serait contraire à l’enseignement du Christ.

Troisièmement, la prophétie est forcément en accord avec la révélation antérieure.

  • « Les Écritures » juives que la tradition chrétienne nommera « Ancien Testament » – sont une référence positive constante dans le Nouveau Testament pour prouver la véracité d’une affirmation. La « prophétie de l’Écriture » s’oppose ainsi aux affirmations des faux prophètes (2 P 1.19-2.1; 3.2). Comme pour confirmer sa véracité, la prophétie de l’Apocalypse est truffée d’allusions à l’Ancien Testament.
  • En Matthieu 7.15-23, les faux prophètes sont ceux qui ne mettent pas en pratique l’enseignement du Christ, et en particulier, la « Loi » que le « nouveau Moïse » vient de formuler lors du sermon sur la montagne (Mt 5-7). L’usurpateur est donc celui qui ne s’accorde pas avec les paroles de Jésus.
  • La tradition apostolique est également une référence positive pour le discernement prophétique. Le « prophète » doit reconnaître que ce que Paul écrit est « un commandement du Seigneur » (1 Co 14.37). Face au risque d’une parole faussement inspirée (2 Th 2.2), les Thessaloniciens sont encouragés à « garder fermement les traditions » qui leur ont été enseignées « de vive voix ou par lettre » (2 Th 2.15). De même, en 2 Pierre, l’enseignement apostolique fait autorité face à l’équivalent des faux prophètes (2 P 1.16-18; 3.2). Les lettres de Paul en viennent même à revêtir un caractère semblable aux « autres Écritures » (2 P 3.15-16).

L’enseignement du Christ et la tradition apostolique nous ont été transmis par les écrits du Nouveau Testament. Avec l’Ancien Testament, ces écrits constituent notre Bible. Autrement dit, une vraie prophétie ou un vrai prophète est forcément en accord avec la Bible chrétienne.

Le discernement des faux prophètes

Venons-en à la question des faux prophètes. Le critère central du Nouveau Testament pour discerner le vrai prophète, c’est qu’il est avant tout un vrai chrétien. Cela se vérifie de 3 manières :

  • Par la confession de Jésus-Christ. Celui qui ne « confesse pas Jésus » est un faux prophète (1 Jn 4.3).
  • Le second critère est moral. La confession chrétienne doit se vérifier dans l’attitude morale du prophète : celui-ci doit appliquer l’enseignement du Christ, sinon c’est un faux prophète (Mt 7.15-23; 2 P 2.1s).
  • Le troisième critère est ecclésial. Le faux prophète est celui qui « n’écoute pas » ceux qui confessent Jésus-Christ (1 Jn 4.6). Il est en contradiction avec l’enseignement qui fait norme dans l’Église : les écrits de l’Ancien Testament, l’enseignement du Christ et celui des apôtres (Mt 7.15-23; 2 P 1.16-2.1).

Notons que le critère de l’accomplissement d’une prophétie n’est pas mentionné dans le Nouveau Testament, à l’inverse de l’Ancien Testament (voir Dt 18.22). Le faux prophète n’est jamais présenté comme celui qui se trompe dans ses prédictions. Inversement, un faux prophète peut prononcer de vraies prophéties ! L’exemple retenu par le Nouveau Testament – à la suite du judaïsme intertestamentaire – est celui de Balaam qui est, en quelque sorte, le faux prophète par excellence. Pourtant, Balaam a prononcé des prophéties que l’Ancien Testament considère comme divinement inspirées (Nb 22-24). S’il est considéré comme un faux prophète, c’est à cause de son attitude morale déplorable : Balaam est un faux prophète à cause de son avidité et parce qu’il a entraîné les israélites à la débauche (2 P 2.15-16 ; Ap 2.14; cf. Nb 31.16 ; Nb 25.1-2).

Bien entendu, si un prophète se trompe dans ses prédictions, il y a clairement un problème. Le vrai chrétien se doit de reconnaître ses torts lorsqu’il a prononcé une parole qu’il pensait être inspirée et qui ne l’était pas. Il doit aussi manifester le désir d’un changement de comportement pour éviter que de telles erreurs ne se reproduisent plus. Toutefois, le Nouveau Testament ne fait pas du critère de la réalisation de la prophétie un critère central pour le discernement. Peut-être est-ce parce qu’il n’est pas toujours aisé d’évaluer la réalisation d’une prophétie, surtout si elle n’est pas datée. Certaines prophéties de l’Ancien Testament ne se sont accomplies que plusieurs siècles après avoir été dites (en Jésus-Christ, notamment), et d’autres ne se sont toujours pas réalisées (celles qui annoncent le renouvellement de la création, par exemple).

Le discernement des prophéties

À côté du phénomène des faux prophètes, le Nouveau Testament présente un autre type de discernement prophétique. Il ne s’agit plus de distinguer des vrais ou faux prophètes, mais d’examiner systématiquement les prophéties. Cette pratique est encouragée en deux passages des épîtres pauliniennes (1 Co 14.29; 1 Th 5.19-22).

L’objet du discernement n’est donc plus ici la personne du prophète, mais bien la prophétie elle-même. De plus, aucune sanction n’est requise contre celui qui se tromperait dans sa prophétie. On peut néanmoins espérer qu’il reconnaisse son erreur et qu’il demande pardon pour cela.

Le discernement permet certainement de savoir si une prophétie est « inspirée » ou pas. Toutefois, Paul ne parle pas tellement du discernement de cette manière. Il propose plutôt de discerner entre ce qui est « bon » et ce qui est « mauvais » (1 Th 5.19-22). Autrement dit, la prophétie doit être jugée avant tout à partir des effets qu’elle produit. Cela rejoint l’importance, déjà mentionnée, de la prophétie pour l’édification de l’Église. La question que doit se poser l’auditeur de la prophétie est : la prophétie est-elle « constructive » ? Encourage-t-elle à faire ce qui est bon ? Encourage-t-elle à une progression morale et spirituelle ?

Bien entendu, ce n’est que sur la base de la révélation antérieure – notre Bible – que l’on pourra déterminer ce qui est « constructif » ou « bon », et ce qui ne l’est pas.

Pour d’autres critères permettant d’évaluer la prophétie, on pourra se référer aux caractéristiques de la prophétie évoquées dans la deuxième partie de cette série.

Quelle autorité donner à la prophétie discernée comme « bonne » ?

Une fois le discernement effectué, reste la question de l’autorité à donner à une prophétie discernée comme bonne.

Les données du Nouveau Testament montrent que toutes les paroles divinement inspirées ne revêtent pas la même autorité. Il est clair, par exemple, que les prophètes inspirés par le Saint-Esprit sont encouragés par Paul à se soumettre à son autorité apostolique (1 Co 14.37-38) ce qui montre la supériorité de la parole apostolique à l’origine du Nouveau Testament. De même, l’auteur de l’Apocalypse donne une autorité divine absolue à sa prophétie. Il y a bien une différence d’autorité entre la prophétie de ceux qui sont à l’origine des écrits bibliques et celle dont Paul encourage la pratique courante dans l’Église. Le théologien évangélique Wayne Grudem fait partie de ceux qui ont mis en avant cette distinction d’autorité entre la prophétie apostolique et la prophétie chrétienne courante (voir sa Théologie systématique, p. 1162-1170). La prophétie chrétienne contemporaine n’a pas la même autorité que la révélation biblique.

Comment comprendre cette différence d’autorité ? Je ne suis pas convaincu par les théologiens qui expliquent cette différence d’autorité par le fait que la prophétie ordinaire serait plus humaine ou moins divine que la prophétie de l’Écriture. Les données bibliques ne suggèrent pas une telle distinction. De même, si elle est inspirée par le Saint-Esprit la « vraie » prophétie chrétienne – discernée comme telle – n’est pas plus « faillible » que l’Écriture.

Si la prophétie de l’Écriture a une autorité première ce n’est pas parce qu’elle est plus vraie ou plus juste qu’une autre, mais parce que la révélation qu’elle transmet est fondamentale et centrale. La prophétie apostolique transmet la « révélation de Jésus-Christ ». C’est sur la base d’une telle révélation que Paul justifie son autorité apostolique (Ga 1). De même, l’auteur de l’Apocalypse intitule son livre prophétique « révélation de Jésus-Christ » (Ap 1.1). Ce qui caractérise l’autorité supérieure de ce type de prophétie est donc le caractère unique dans l’histoire et fondamental pour l’Église de la révélation qu’elle transmet. C’est ce qui justifie l’intégration de telles prophéties au canon du Nouveau Testament tout entier tourné vers la révélation de Jésus-Christ. Il s’agit bien de la révélation la plus importante et centrale pour l’Église. C’est là le « fondement » posé par « les apôtres et prophètes » (Ep 2.20-3.6). L’autorité première de ceux qui ont été chargés de transmettre cette révélation est donc tout à fait compréhensible.

Au-delà de cette distinction majeure entre prophétie « apostolique » et prophétie « ordinaire », les données bibliques ne suggèrent pas la distinction entre divers niveaux d’autorité prophétique. Il n’y a pas de prophète « plus ou moins faux » ou de prophétie « plus ou moins bonne », ni « plus ou moins inspirée ». Le discernement prophétique n’a pas pour but de décerner une « note » à la prophétie ou de la placer sur une échelle de valeur en fonction de son autorité. Une fois discerné ce qui est « bon », l’auditeur doit agir en conséquence face à une parole inspirée par l’Esprit de Dieu.

Ceci dit, la difficulté du discernement ne permet pas toujours de déterminer si une prophétie est « bonne » ou « mauvaise ». Il est imaginable que lors d’un discernement communautaire, les avis soient partagés. Dans ce cas, il sera vraisemblablement difficile de donner une autorité divine à la prophétie. De même, une prophétie peut sembler parfois un peu obscure et on peut hésiter sur son interprétation (comme c’est le cas pour certaines prophéties bibliques !). Il conviendra alors d’être prudent quant à la suite à donner.

À mon avis, les données du Nouveau testament suggèrent que la prophétie ordinaire bien discernée reçoit l’autorité d’une parole inspirée par Dieu. Si c’est le cas, la prophétie ne peut pas être « méprisée » (1 Th 5.20). Le croyant doit alors se laisser sérieusement « édifier, exhorter ou consoler » (1 Co 14.3).

Note sur la prophétie d’Agabus en Actes 21.11 : un exemple de « prophétie faillible » ?

En Actes 21.11, le prophète Agabus annonce que Paul sera « lié par les Juifs et livré aux mains des païens ». Plusieurs exégètes ont fait remarquer que la prophétie d’Agabus ne se réalisait pas littéralement dans la suite du récit. En effet, Paul n’est pas « lié » par les Juifs, mais par les Romains (Ac 21.33). De même, les Juifs ne « livrent » pas Paul aux Romains, mais ils tentent de le tuer (Ac 21.31). Les Romains doivent alors intervenir et faire Paul prisonnier pour calmer la foule (Ac 21.32-33).

Comment comprendre cette apparente contradiction entre la prophétie d’Agabus et l’arrestation de Paul ? Pour Wayne Grudem, il s’agit là d’un exemple de « prophétie faillible » :

« Agabus a eu une vision de Paul prisonnier des Romains à Jérusalem et entouré d’une foule de Juifs en colère. Quand Agabus prophétise (de façon quelque peu erronée) que les Juifs lieront Paul à Jérusalem et le livreront aux Romains, il s’agit de sa propre interprétation de cette « vision » ou « révélation » du Saint-Esprit. » (Wayne Grudem, Théologie systématique, p. 1166)

La solution proposée par Wayne Grudem a le défaut de sous-entendre de nombreuses suppositions qui ne sont pas apparentes dans le contexte d’Actes 21. Une autre explication me paraît bien plus plausible : la prophétie d’Agabus n’aurait pas pour but de décrire exactement les souffrances de Paul qui l’attendent à Jérusalem, mais de montrer que ces souffrances se situent dans la lignée de celles de Jésus. En effet, s’il est quelqu’un qui a été « lié par les Juifs » puis « livré aux païens », c’est bien Jésus-Christ ! Ainsi, en Actes 21, Paul n’interprète pas l’avertissement prophétique comme une interdiction d’aller à Jérusalem. À l’inverse, il déclare qu’il est « prêt, non seulement à être lié, mais à mourir à Jérusalem pour le nom du Seigneur Jésus » (Ac 21.13). Agabus n’avait pas mentionné la mort de Paul à Jérusalem, mais ce dernier l’envisage. Par cette réponse, Paul montre qu’il a bien vu le lien que la prophétie faisait entre le sort de son Seigneur et son propre sort. De plus, l’épisode prophétique se termine avec l’affirmation commune de la part des croyants rassemblés : « que la volonté du Seigneur soit faite ! » (Ac 21.14). Cette acceptation douloureuse n’est pas sans rappeler la prière du Christ à la veille de son arrestation : « non pas ma volonté, mais que ta volonté soit faite ! » (Lc 22.42).

Autrement dit, la prophétie d’Agabus est une « bonne » prophétie dans le sens qu’elle a permis aux croyants de comprendre les souffrances de l’apôtre : celui-ci ne fait que se mettre à la suite de son Seigneur. On ne peut donc pas voir ici un exemple d’une prophétie « faillible » due à une mauvaise « interprétation » de la vision par le prophète. Au contraire, nous avons là l’exemple d’une prophétie centrée sur Christ qui permet à l’Église de grandir dans sa compréhension de ce que peut parfois signifier « suivre Christ ».

On remarquera également la manière dont la prophétie d’Agabus donne lieu à une discussion sur la suite à donner. Les chrétiens de Césarée souhaitent que Paul renonce à monter à Jérusalem (Ac 21.12). Toutefois, après un temps de discussion avec Paul, tous s’accordent pour se soumettre à « la volonté du Seigneur » (Ac 21.14). Nous avons là un bon exemple de discernement communautaire.

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